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  • ESG - Responsible Shareholders & Stakeholders
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  • SME
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Plus que jamais, les organisations opèrent dans un environnement en constante évolution. Les changements politiques, économiques, sociaux et autres se succèdent rapidement et exigent une nouvelle perspective de la gouvernance. La première et la deuxième "vague de gouvernance" se sont concentrées sur la clarification des rôles au sein du conseil d'administration et sur la préservation de l'équilibre entre les actionnaires. La troisième "vague de gouvernance" reprend ces thèmes et met l'accent sur l'alignement des intérêts des différentes parties prenantes internes et externes. 

La demande de repères sur la manière d'impliquer les parties prenantes dans la prise de décision est donc bien réelle.  Dans la série "Stakeholder Governance in Theory & Practice", GUBERNA souhaite définir un cadre clair pour les organisations qui souhaitent aborder le dialogue et l'implication des parties prenantes de manière structurée et stratégique. La base est un document théorique antérieur intitulé "Participation des parties prenantes au processus décisionnel - Mise en œuvre du point de vue de la gouvernance". En outre, la série donne également un aperçu de la mise en œuvre de l'engagement des parties prenantes dans divers types d'organisations à l'aide d'exemples pratiques. La structure est toujours la même : quels sont les défis, comment les résoudre, quelle est la valeur ajoutée de l'implication des parties prenantes, et quels sont les enseignements à en tirer ? … 

C’est aujourd’hui au tour de Schréder de faire l’objet d’une étude de cas. Schréder est une entreprise familiale belge fondée en 1907 à Liège, et un leader européen et mondial des systèmes d’éclairage extérieur. Nous avons eu l’opportunité d’interviewer Renaud Gryspeerdt, président du conseil d’administration de l’entreprise. 

Quels sont les grands défis auxquels Schréder est confrontée aujourd’hui ? 

Schréder a été fondée en 1907 par l’arrière-grand père du président actuel. Au fil des générations, l’entreprise a toujours eu un objectif de pérennité, mais aussi d’impact sociétal positif. Aujourd’hui, Schréder fournit des solutions d’éclairage dans plus de 70 pays et emploie plus de 2500 personnes. 

L’entreprise est confrontée au défi de rester pertinente dans un monde en constante évolution, où les demandes en matière de durabilité se font de plus en plus pressantes. Face à ce défi, le conseil d’administration a souhaité prendre les devants pour faire de Schréder une entreprise à la pointe du développement durable.  

Il y a 6 ans, il avait été constaté que l’entreprise avait plusieurs initiatives positives en matière de durabilité, mais pas de plan structuré. Par ailleurs, certains membres de la famille et de l’équipe de direction ne pensaient pas que c’était le bon moment pour s’engager davantage dans le développement durable. 

Pour remédier à ces obstacles, des formations ont été organisées à destination de la famille et des dirigeants de l’entreprise afin de les sensibiliser à la problématique. Avec l’aide d’un consultant, une stratégie de développement durable a également été mise sur pied autour de trois axes : planète (l’environnement), employés, et community (les communautés locales). Un rapport de durabilité au format GRI a enfin été rédigé et publié. Ce dernier a été récompensé par deux prix aux Awards for Best Belgian Sustainability Reports 

Par ailleurs, un autre défi était l’intégration de la stratégie commerciale de l’entreprise et de la stratégie de durabilité. Lors du conseil d’administration, ces dernières faisaient toujours l’objet de présentations, de discussions et de « PowerPoints » distincts avec leurs KPI propres. Or, on s’est rendu compte que les deux stratégies étaient compatibles et qu’elles pouvaient donc être intégrées dans un seul document reprenant tous les KPI. Par exemple, l’investissement dans l’éclairage connecté ou dans le télé-management constitue à la fois une opportunité commerciale et une contribution à un éclairage plus écologique et économe. 

Pouvez-vous décrire, en quelques mots, le modèle de gouvernance de votre organisation ?

L’entreprise a choisi de suivre la structure de gouvernance moniste, prévue par les statuts de la société. La structure de gouvernance de Schréder est composée d’une assemblée générale, d’un conseil d’administration, et d’un administrateur délégué (un CEO à qui le conseil a délégué la gestion journalière). 

En tant qu’entreprise familiale, Schréder a évidemment un fort ancrage familial dans sa gouvernance. Le conseil d’administration est composé d’un mix d’administrateurs familiaux et indépendants. Un bon équilibre est crucial : les administrateurs familiaux sont les relais de l’intérêt familial à long-terme, tandis que les administrateurs indépendants apportent une expertise et un regard externe qui ne sont pas nécessairement présents dans la famille. Cet équilibre se retrouve également entre le président familial et le CEO externe. 

Le rôle du conseil d’administration n’est pas seulement « pro forma » : les administrateurs challengent activement l’équipe de direction concernant les décisions importantes, en posant des questions pertinentes. 

La famille, en tant qu’actionnaire, a également structuré sa gouvernance par la création d’un conseil familial, organe qui rassemble les actionnaires familiaux actifs et non-actifs et qui permet aux membres de la famille de se coordonner au mieux sur les questions d’actionnaires. 

Quelles sont les parties prenantes les plus importantes pour Schréder ? Comment ont-elles été identifiées ?

Lors de la mise sur pied de la stratégie de durabilité, un travail d’identification des parties prenantes a été effectué. Le consultant en charge du projet a contacté personnellement les différentes parties prenantes (clients, fournisseurs, employés, etc.) afin de comprendre leurs besoins et leurs demandes.  

Parmi les stakeholders les plus importants pour Schréder, mentionnons : 

  • Les employés / collaborateurs : ils sont un des 3 axes de la stratégie de développement durable. L’entreprise veut leur donner l’opportunité de se former, de progresser professionnellement et de recevoir un salaire décent. 

  • Les clients : Schréder cherche en permanence à connaitre les besoins et attentes des clients pour adapter ses solutions. 

  • Les communautés locales : autre axe de la stratégie de développement durable, les communautés locales sont particulièrement importantes dans la mesure où Schréder installe des solutions d’éclairage dans l’espace public pour ces communautés. Le confort, la sécurité et la réduction de la consommation électrique de ces communautés sont des priorités pour l’entreprise. 

  • La famille : elle est garante de la pérennité de l’entreprise et est consultée pour les grandes orientations stratégiques. 

Comment impliquez-vous concrètement les parties prenantes ?

Diverses initiatives ont vu le jour. On peut par exemple citer le customer survey, qui permet à Schréder de savoir ce que les clients pensent des produits et services, et le employee survey par lequel l’entreprise prend le pouls du bien-être et de la satisfaction de son personnel. L’entreprise est par ailleurs membre de la RBA (Responsible Business Alliance). Cette association fournit des guidelines pour s’assurer du respect de l’environnement et des droits de l’homme dans la chaine d’approvisionnement (auprès des fournisseurs). 

La communication vis-à-vis des parties prenantes est également cruciale. C’est pourquoi Schréder a publié un rapport de développement durable, qui peut être consulté par tous les stakeholders. Preuve de l’importance de la communication, Schréder a organisé des formations à destination des commerciaux de l’entreprise, afin qu’ils communiquent de façon optimale sur les questions de durabilité. 

Enfin, un fond de mécénat a été mis sur pied. Ce dernier finance des projets à impact positif dans les communautés locales, comme l’éclairage d’un hôpital à Kinshasa au Congo. 

Quels sont les défis / difficultés rencontrés dans l’implication des parties prenantes, et quelles solutions y sont apportées ?

Tout d’abord, les priorités des uns ne sont pas celles des autres. Les différents stakeholders ont souvent des intérêts divergents. Par exemples, certaines parties prenantes ont un agenda plutôt « social » alors que d’autres défendent des intérêts plutôt environnementaux ou économiques.  Pour le conseil d’administration, cela implique de faire des arbitrages et des choix parfois difficiles. Il faut toujours trouver un juste milieu. 

Le manque de ressources constitue une autre difficulté. Impliquer les parties prenantes demander du temps et de l’argent. Il en va de même pour la collecte de données sur l’impact de l’entreprise, nécessaire à l’obtention d’une certification : cela représente un travail gigantesque. Ceci signifie que l’entreprise doit prioritiser les projets qui auront un impact positif le plus important pour le business et pour les parties prenantes. 

Quel rôle joue le conseil d’administration dans l’implication des stakeholders ?

Schréder a la chance d’avoir des administrateurs fortement sensibilisés à la problématique du développement durable et aux attentes des stakeholders. A l’avenir, le but est même d’en faire un critère pour la sélection de nouveaux administrateurs. 

Par conséquent, le conseil d’administration se montre attentif aux parties prenantes. Par exemple, lors d’une restructuration récente, l’entreprise a été contrainte de se séparer d’une partie du personnel dans l’une de ses usines. Le conseil d’administration a été particulièrement attentif à ce que tous les collaborateurs ayant perdu leur emploi bénéficient d’un « outplacement ». Un réel suivi a été effectué par le conseil après 6 mois et après 12 mois pour s’assurer qu’un maximum de personnes licenciées trouvent un nouvel emploi. 

La majorité des décisions au conseil d’administration se prend par consensus. Il est rare que l’on doive voter car il existe heureusement un réel alignement entre toutes les parties en présence sur la direction générale à prendre. Lorsque des points de vue divergents se manifestent, cela signifie généralement que la discussion n’est pas mûre. En cas de discision importante, on préfère alors continue à discuter jusqu’à ce qu’un consensus se dégage. 

Quels sont les apports de l’implication des stakeholders pour Schréder?

Cette implication est essentielle car elle donne sens au mandat d’administrateur. En effet, le profit n’est pas une fin en soi pour Schréder. L’objectif est avant tout d’améliorer l’entreprise, ses équipes et ses produits, de croître, d’avoir un impact positif sur l’environnement et les parties prenantes. Sur base de cet objectif, en moyenne 2/3 du bénéfice annuel est réinvesti dans l’entreprise. 

Cet objectif partagé contribue en outre à rendre tout le monde fier de l’entreprise et à souder la famille. 

Quelles sont les leçons de ce travail d’implication des parties prenantes ? Et quels conseils donneriez-vous aux organisations qui souhaitent se lancer dans ce type de projets ?

Il y a trois enseignements principaux à souligner : 

  • Premièrement, la démarche doit être activement soutenue par l’actionnaire familial. Ce dernier doit définir des attentes claires vis-à-vis de l’entreprise. 

  • Ensuite, il est essentiel de beaucoup communiquer sur ses initiatives, avec l’ensemble des parties prenantes de l’organisation. 

  • Enfin, il est nécessaire de consulter ces parties prenantes en amont des projets importants de l’entreprise, et en particulier pour l’élaboration de la stratégie de développement durable. Cet exercice doit être répété régulièrement. 

Renaud Gryspeerdt

Renaud Gryspeerdt, président du conseil d’administration de Schréder

 

1. Etude de cas basée sur un entretien avec Renaud Gryspeerdt, président du C.A., Schréder. 

2. https://www.guberna.be/fr/know/la-participation-des-parties-prenantes-au-processus-decisionnel-mise-en-oeuvre-du-point-de-vue 

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