Type
  • Article
Thèmes
  • ESG - Responsible Shareholders & Stakeholders
  • Board Dynamics & Ethical Decision Making
  • Diversity & Inclusion
Type d'organisation
  • Family Business
  • Listed Company
Datum

Plus que jamais, les organisations opèrent dans un environnement en constante évolution. Les changements politiques, économiques, sociaux et autres se succèdent rapidement et exigent une nouvelle perspective de la gouvernance. La première et la deuxième "vague de gouvernance" se sont concentrées sur la clarification des rôles au sein du conseil d'administration et sur la préservation de l'équilibre entre les actionnaires. La troisième "vague de gouvernance" reprend ces thèmes et met l'accent sur l'alignement des intérêts des différentes parties prenantes internes et externes. 

La demande de repères sur la manière d'impliquer les parties prenantes dans la prise de décision est donc bien réelle. Dans la série "Stakeholder Governance in Theory & Practice", GUBERNA souhaite définir un cadre clair pour les organisations qui souhaitent aborder le dialogue et l'implication des parties prenantes de manière structurée et stratégique. La base est un document théorique antérieur intitulé "Participation des parties prenantes au processus décisionnel - Mise en œuvre du point de vue de la gouvernance". En outre, la série donne également un aperçu de la mise en œuvre de l'engagement des parties prenantes dans divers types d'organisations à l'aide d'exemples pratiques. La structure est toujours la même : quels sont les défis, comment les résoudre, quelle est la valeur ajoutée de l'implication des parties prenantes, et quels sont les enseignements à en tirer ? …

C’est aujourd’hui au tour de Solvay de faire l’objet d’une étude de cas. Solvay est une entreprise belge familiale, cotée à la bourse de Bruxelles et faisant partie de l’indice BEL 20. C’est un fleuron de l’industrie chimique au niveau mondial. Nous avons eu l’opportunité d’interviewer Ilham Kadri, CEO de l’entreprise depuis 2019.

Solvay

Quels sont les grands défis auxquels Solvay est confrontée aujourd’hui ?

Solvay est une entreprise en pleine transformation. J’ai rejoint l’entreprise il y a un peu plus de 3 ans, avec l’objectif de libérer son potentiel. J’ai appliqué le principe : « la réussite de la société avec une vision à long terme, tout en visant l’efficacité à court-terme ». La stratégie mise en place aspire donc à renforcer notre leadership dans des marchés stratégiques pour répondre aux défis d’aujourd’hui et de demain (mobilité durable, digitalisation, etc.).

Le développement durable est au coeur de cette stratégie, au travers de notre plan d’action pour l’environnement « Solvay One Planet » et de notre feuille de route pour la diversité et l’inclusion, « Solvay One Dignity ».

Nous gardons le cap dans un contexte macroéconomique inédit, marqué par de forts vents contraires : d’une part, nous sommes confrontés à des niveaux d’inflation jamais vus depuis la fin des années 1970 ; et d’autre part, à de fortes tensions géopolitiques en Europe et ailleurs.

Ce qui permet à Solvay de rester une entreprise pérenne dans ce contexte difficile, ce sont d’abord ses bases économiques solides et une bonne diversification géographique. Mais surtout, la transformation du Groupe depuis 3 ans nous a permis d'atteindre une croissance forte, un niveau de cash élevé et un endettement réduit.

En résumé, Solvay se montre agile et adaptable face aux crises actuelles. Nous gardons à la fois un oeil sur le microscope et sur le télescope : discipline et efficacité à court-terme tout en poursuivant notre vision à long-terme.

Pouvez-vous décrire, en quelques mots, le modèle de gouvernance de votre organisation ?

Solvay est une société cotée basée en Belgique. Et à ce titre, elle a adopté le Code Belge de Gouvernance d’Entreprise comme référence. Elle s’est aussi dotée d’une charte de gouvernance. Celle-ci instaure des contrepoids entre les différentes parties prenantes, ce qui est à mes yeux un des ingrédients essentiels d’une bonne gouvernance. A titre d'exemple, il y a séparation des pouvoirs entre le CEO (Directeur général) et le Président du Conseil d’Administration.

La gouvernance de Solvay est aussi marquée par la présence d’un actionnaire de référence, garant d’une vision à très long terme.

Mais Solvay va plus loin et veut adopter une gouvernance exemplaire. Ainsi, à mon initiative, l’entreprise s’est dotée d’un code de “business integrity” moderne qui comprend des principes en matière de conformité (compliance), de respect de la communauté LGBTQ+, d’égalité des salaires et de transparence. Le Conseil d’Administration a également évolué et entretient un dialogue soutenu et transparent avec l’équipe de management. Récemment, un comité ESG (RSE : responsabilité sociétale des entreprises) a été mis en place au niveau du Conseil. Il permet de renforcer encore plus l’attention portée au développement durable.

Quelles sont les parties prenantes les plus importantes pour Solvay et comment les impliquez-vous ?

Nous avons bien sûr effectué un travail d’identification de l’ensemble de nos parties prenantes.

Les clients occupent une place particulièrement importante. C’est pour eux que nous travaillons car ils permettent de donner vie à nos solutions innovantes. Nous souhaitons entretenir une relation privilégiée avec eux, notamment via des partenariats.

Pour une société cotée en bourse comme Solvay, les actionnaires revêtent aussi une grande importance car leur confiance nous permet d’investir pour le futur. Nous menons un dialogue constructif et régulier avec ces derniers, qu’il s’agisse de l’actionnaire de référence ou des autres catégories d’actionnaires (investisseurs institutionnels, individuels …). Nous les rencontrons fréquemment au travers de « roadshows » et conférences dédiées.

Quant aux autres parties prenantes, nous les rencontrons régulièrement dans le cadre d’associations professionnelles. Je m’investis personnellement dans plusieurs de ces associations : en tant que vice-présidente du CEFIC (Conseil Européen de l’Industrie

Chimique), en tant que membre de l’ERT (European Round Table for Industry), en tant que présidente du WBCSD (Conseil Mondial des Entreprises pour le Développement Durable), et dans diverses fondations, etc. Cette implication nous permet de rester connectés à notre environnement et de faire avancer les causes importantes pour Solvay.

Depuis la pandémie de la COVID-19, notre interaction avec les pouvoirs publics a également été renforcée. Dans un contexte de crise, les pouvoirs publics cherchent à comprendre les implications pour les entreprises (pensons notamment à l’impact de possibles coupures de gaz sur l’industrie).

Last but not least, nous sommes très attentifs à nos collaborateurs car ils sont le moteur de notre succès à long terme. Notre dialogue est permanent. Un exemple parlant est l’accord-cadre que nous avons signé avec IndustriALL, une fédération syndicale qui réunit des comités d’entreprise à travers le monde. Notre Solvay Global Forum est une autre opportunité pour renforcer le dialogue social. Mentionnons enfin le Solvay Solidarity Fund, un projet que j’ai lancé en 2020, et au travers duquel le management de l’entreprise a renoncé à une partie de son salaire au profit des communautés affectées par la pandémie de la COVID-19.

Quels sont les principaux défis liés à cette implication ? Quelles solutions avez-vous mises en place pour répondre à ces défis ?

Mettre en place et entretenir un dialogue avec les parties prenantes est nécessaire. Cela demande beaucoup d’énergie et de temps. Pourtant, l’entreprise doit rester performante à court-terme, certaines décisions devant être prises rapidement. Il est donc essentiel de trouver un équilibre entre ces deux nécessités.

Par exemple, dans le contexte de la pandémie de la COVID-19, le management a été contraint de prendre des décisions difficiles, à l’image des fermetures temporaires d’usines. Un dialogue non contraint par le temps aurait pu être plus souhaitable mais c’était un choix nécessaire pour la survie de l’entreprise.

Les idées et les défis sont toujours les bienvenus lorsqu’ils sont bien intentionnés et alignés avec la raison d’être de l’entreprise. C’est au travers du prisme de cette raison d’être que nous jugeons quelles demandes sont acceptables ou pas.

Disposer d’une stratégie claire et d’une raison d’être est donc primordial. Ces dernières fonctionnent comme une cartographie permettant aux décideurs de prendre les bonnes décisions, même si les demandes des parties prenantes sont parfois contradictoires. C’est pourquoi j’ai lancé un large exercice participatif en 2019 pour définir notre raison d’être, une première dans l’histoire de Solvay.

Quel rôle joue le conseil d’administration dans l’implication des stakeholders ?

Le Conseil d’Administration assume plusieurs rôles essentiels : il définit la stratégie et choisit le mode d’organisation de la société, supervise le management et veille à la qualité de l’information fournie aux actionnaires et aux marchés. Il ne se substitue donc pas à l’équipe de direction dans l’implication avec les parties prenantes.

En revanche, le Conseil d’Administration contribue de manière constructive à l’engagement de Solvay vis-à-vis des parties prenantes, grâce à la diversité des profils des administrateurs : leurs origines, compétences, parcours professionnels, secteurs... Chaque administrateur apporte un regard complémentaire sur les initiatives de Solvay. Le réseau de contacts du Conseil d’Administration est aussi précieux à cet égard.

En conséquence, les perspectives apportées par les administrateurs et les questions qu’ils soulèvent sont une source d’amélioration de notre stratégie, un soutien en termes de réseau, et un facteur clé d’identification des risques.

J’essaie également de favoriser les contacts entre le conseil d’administration et le reste de l’entreprise. Le conseil d’administration est ainsi invité à rencontrer les employés, les chercheurs, les clients, … dans le cadre de ses réunions.

Quels sont les apports de l’implication des stakeholders pour Solvay ?

L’implication des parties prenantes, c’est en quelque sorte « aller plus lentement pour aller plus vite ».

Cela consomme certes du temps et de l’énergie, mais c’est devenu essentiel au succès de l’entreprise. Les avantages non-financiers auront à leur tour des répercussions financières positives.

L’union des différentes parties prenantes transparaît d’ailleurs clairement dans la raison d’être de Solvay : « lier les personnes, idées et éléments pour réinventer le progrès ».

Nous le voyons encore plus en période de crise : rester étroitement connectés à nos clients et fournisseurs nous a permis d’optimiser notre allocation de capital et de ressources. Par exemple, durant la période de la pandémie de la COVID-19, il y a eu une pénurie importante de matériaux dans la chaîne d’approvisionnement des membranes de dialyse, dont dépendent les vies de nombreux patients. Solvay a pu garantir l’approvisionnement de ces membranes grâce à ses contacts rapprochés avec ses fournisseurs, clients et opérateurs logistiques.

En somme, il s'agit de comprendre des voix qui peuvent être différentes de la nôtre, et de se remettre en cause pour devenir meilleurs, voir l’avenir avec sérénité et dans un intérêt commun et durable.

Ilham Kadri

Ilham Kadri est CEO de l’entreprise depuis 2019

Découvrez les autres articles de cette série