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Environnement et valeur marchande  

Avec l'entrée en vigueur des Accords de Paris et de divers autres accords internationaux relatifs à la lutte contre le changement climatique, les entreprises et leurs conseils d'administration sont de plus en plus contraints à réfléchir à leur impact sur l'environnement. Non seulement pour des raisons financières, mais aussi pour assumer leurs responsabilités sociales et éthiques. Il ne s'agit plus seulement de faire des bénéfices, mais aussi de prendre en compte les intérêts de la planète et de la société dans son ensemble. Toutefois, cela soulève régulièrement la question de savoir si prendre de l'avance en matière d'exigences environnementales (et en particulier celles liées aux émissions de CO2) impacte la valeur marchande d'une entreprise. D'un côté, certains affirment que la prise en compte des risques climatiques est un avantage concurrentiel. Cela améliorera la réputation de l'entreprise, et protégera mieux celle-ci contre toutes sortes de pénalités et poursuites judiciaires futures. De l’autre côté, les opposants affirment que le respect des exigences environnementales coûte cher et a un impact négatif sur les bénéfices, ce qui aura une incidence négative sur la valeur du marché. 

 

Pour réfléchir à cette problématique, une étude scientifique récente menée par Ayman Issa et Jalal Rajeh Hanaysha1 a examiné la relation entre les émissions de carbone et la valeur marchande. À l'aide de données relatives aux entreprises non financières répertoriées dans l'indice STOXX Europe 600, ils ont montré que, sur la période d'étude 2010-2021, il existe une relation négative évidente entre les émissions de carbone et la valeur de marché. Cela signifie que les entreprises dont les émissions de carbone sont plus élevées ont tendance à avoir une valeur marchande plus faible, ce qui souligne l'importance de la sensibilisation à l'environnement et de la durabilité pour les entreprises si elles souhaitent maintenir leur valeur marchande. 

L'impact de la rémunération  

Les scientifiques ne se sont pas contentés d'examiner la relation entre les émissions de carbone et les valeurs de marché. Ils ont également voulu comprendre si d'autres facteurs pouvaient influencer cette relation. Des études scientifiques antérieures ont déjà montré que le comité de Direction - en particulier le PDG - joue un rôle crucial dans la communication et la réalisation des objectifs ESG 2. Compte tenu de l’impact important du comité de Direction, les auteurs ont examiné comment la rémunération des dirigeants et la pratique dite du "say-on-pay" affectent la relation entre les émissions de carbone et la valeur de marché. Ils ont ainsi pu constater que l'interaction entre la rémunération des dirigeants et les émissions de carbone a un effet négatif évident sur la valeur marchande. Cela signifie que les entreprises dont la rémunération des dirigeants est élevée et dont les émissions de carbone sont importantes ont tendance à être cotées à des valeurs de marché encore plus basses. Cela suggère que les dirigeants dans de telles situations ont une rémunération qui encourage la pensée à court terme. Les entreprises et leurs conseils d'administration devraient donc encourager les dirigeants à agir de manière plus respectueuse de l'environnement afin de protéger la valeur du marché. 

En outre, l'étude a révélé que les réglementations sur les pratiques de "Say-on-Pay" au sein des entreprises avaient un impact clair sur les émissions de carbone réelles et la valeur marchande. Selon ces chercheurs, les résultats indiquent que les entreprises dotées d'unre pratique établie de « Say-on-Pay » accordent plus d'importance à la réduction des émissions de carbone, ce qui se traduit finalement par une augmentation de leur valeur marchande. En d'autres termes, lorsque les entreprises adoptent des règles permettant aux actionnaires (ou à d'autres parties prenantes) de voter sur la rémunération des dirigeants (Say-on-Pay), cela peut signifier que les actionnaires accordent plus d’importance à des pratiques équitables et transparentes en matière de rémunération des dirigeants. Par conséquent, les entreprises qui ont adopté ces règles pourraient ressentir une plus grande pression de la part des actionnaires pour réduire leurs émissions de carbone et améliorer leurs performances environnementales. En effet, les actionnaires qui ont le pouvoir de voter sur les rémunérations des dirigeants sont susceptibles de se préoccuper de la viabilité à long terme de l'entreprise et de sa capacité à gérer les risques et les opportunités en matière d'environnement. 

Koolstof

À l'inverse, les chercheurs n'ont pas constaté d'impact significatif sur la relation entre les émissions de carbone et la valeur marchande dans les entreprises qui ne sont pas soumises à la réglementation « Say-on-Pay ». L'étude montre ainsi que l'introduction d’une pratique « Say-on-Pay » peut être un outil important pour orienter la politique de gestion. En effet, elle permet aux actionnaires d'utiliser leurs droits de vote pour influencer les politiques environnementales et prendre des décisions d'investissement éclairées sur la base des émissions de carbone et des pratiques de durabilité d'une entreprise.  

Réglementation  

Enfin, dans leur étude, les auteurs ont constaté que la réglementation avait un rôle important à jouer. Sur la période d'étude s'étendant de 2010 à 2021, les Accords de Paris 2015 qui traitent de la réduction des émissions de carbone ont pu être examinés. Selon l'étude, ces accords ont eu un impact significatif sur les émissions de carbone et, par conséquent, sur la valeur marchande de l'entreprise.    

 

Quel est l'apport de cette étude pour les régulateurs, les administrateurs et les actionnaires ?  

Les auteurs de l'article soutiennent que les régulateurs peuvent envisager d'introduire des réglementations environnementales plus strictes pour encourager les entreprises à réduire leurs émissions de carbone. À leur tour, les entreprises peuvent tirer profit de la réduction de leur empreinte environnementale en améliorant leur réputation, en attirant des investisseurs socialement responsables et en réduisant le risque d'amendes réglementaires. Cela devrait avoir pour effet d'augmenter leur valeur marchande. Les auteurs considèrent que les dirigeants ont un rôle important à jouer à cet égard, car ces derniers peuvent influer fortement sur l'orientation de l'entreprise en définissant sa stratégie. Enfin, les auteurs estiment que les dirigeants devraient être tenus responsables des performances environnementales de leur entreprise. À cet égard, il peut être judicieux d'aligner la rémunération des dirigeants sur les objectifs environnementaux. Cela peut se faire à la fois en accordant une rémunération plus élevée pour les objectifs environnementaux que la direction doit atteindre, et par le biais de pratiques dites de « Say-on-Pay » au sein de l'entreprise, qui permettent aux actionnaires d'intervenir dans la rémunération du comité de Direction. Ici aussi, les administrateurs peuvent intervenir en fixant une rémunération appropriée - qui encourage les actions écologiques - tout en favorisant une réflexion à long terme. Si nécessaire, ils peuvent ancrer davantage ce principe en défendant les pratique de « Say-on-Pay » à partir de leur position d'administrateur. 

Cet article fait partie d'une série d'articles de "gatekeeping". GUBERNA assume ce rôle afin d'informer ses membres des dernières tendances et idées dans le monde de la gouvernance d'entreprise.

1 Issa, Ayman, and Jalal Rajeh Hanaysha. "Sustainability performance, executive compensation, market value, and say-on-pay voting adoption: evidence from the STOXX Europe 600." Corporate Governance: The International Journal of Business in Society (2023). 
2. Par Example: Huang, Shihping Kevin. "The impact of CEO characteristics on corporate sustainable development." Corporate Social Responsibility and Environmental Management 20.4 (2013): 234-244; Li, Yiwei, et al. "The impact of environmental, social, and governance disclosure on firm value: The role of CEO power." The British Accounting Review 50.1 (2018): 60-75; Manner, Mikko H. "The impact of CEO characteristics on corporate social performance." Journal of business ethics 93 (2010): 53-72.