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Contexte actuel et hausse spectaculaire des investissements publics

La crise du COVID-19 a frappé l’Europe tout entière. Partout, les Etats européens ont dû prendre des mesures d’urgence afin d’endiguer l’épidémie, au prix de coûts sociaux et économiques très élevés. Rien qu’en Belgique, le PIB de l’année 2020 a diminué de 6,3% par rapport à l’année précédente. 

Redresser les économies du Vieux Continent est désormais une priorité absolue et de nombreux plans de relance ont vu le jour, tant au niveau européen que national. L’enveloppe totale octroyée par l’Union européenne à répartir entre les différents Etats membres s’élève à 750 milliards d’euros. Négociée en juillet 2020, cette dernière devrait être déployée cet été.  

Cela paraît toutefois relativement modeste, si l’on observe le plan de relance mis en œuvre de l’autre côté de l’Atlantique. En effet, l’administration du Président américain Joe Biden avait déjà initié une relance publique à hauteur de 900 milliards de dollars en décembre 2020, auquel vient de s’ajouter un montant colossal de 2,000 milliards de dollars en mars dernier. 

En ce qui concerne notre pays, la Belgique a remis le 30 avril dernier la version finale de 50,000 pages de son plan de relance à la Commission européenne, pour un montant total de 5,9 milliards d’euros comportant 85 projets. Cinq volets principaux ont été développés en détail dans le rapport remis par le Secrétaire d’Etat à la Relance, Thomas Dermine. L’accent a été particulièrement mis sur les aspects environnementaux, le digital, le social, la mobilité ainsi que la formation et l’innovation. La Commission se donne alors un délai de deux mois pour évaluer et valider les plans de relance des différents Etats membres. 

Comme le rappelle le journal l’Echo du 30 avril 2021, l’accord du gouvernement de Croo prévoit par ailleurs un taux d’investissement public de 3,5% du PIB en fin de législature en 2024, soit 13,1 milliards d’euros au total1. Il reste donc 7,2 milliards d’euros à couvrir en plus des fonds offerts par le plan de relance européen, dont 40% devraient être soulevés auprès des pouvoirs locaux et 20% auprès du Fédéral. 

Les sociétés régionales d’investissement des entités fédérées ont, elles aussi, augmenté leurs participations sur leurs territoires respectifs de manière remarquable. Concernant la Wallonie, la Société Régionale d’Investissement de Wallonie (SRIW) a investi pour un montant record de 271,5 millions d’euros en 2020, soit une augmentation de plus de 31,7% par rapport à l’année 20192. En Flandre, c’est également un montant record de 287 millions d’euros qui a été réalisé en 2020 par la société flamande d’investissement PMV. A titre comparatif, ce montant s’élevait à 238 millions d’euros en 2019. 

Enfin, le gouvernement bruxellois a validé en mars dernier un nouveau fonds de 40 millions d’euros, géré par finance&invest.brussels, afin de venir en aide aux entreprises bruxelloises et d’améliorer leur solvabilité. Ce nouveau fonds aura par ailleurs pour mission de co-investir dans les sociétés de la Région bruxelloise aux côtés de la SFPI et éventuellement d’autres investisseurs institutionnels ou privés4. 

L’investissement public peut, par exemple, se matérialiser sous la forme de subsides aux entreprises, de crédits ciblés ou encore de réduction d’impôts à certaines conditions afin de stimuler la croissance. Cependant, une intervention accrue de l’Etat dans l’économie implique aussi généralement une hausse des participations publiques au sein d’entreprises ciblées. Les objectifs poursuivis par une telle intervention peuvent être multiples : défendre une vision stratégique, accompagner certains secteurs en période de crise aïgue ou simplement soutenir l’économie. 

Défis posés en matière de gouvernance publique

En tant qu’institut de gouvernance, GUBERNA souhaite apporter sa contribution quant aux défis que soulève précisément l’Etat en tant qu’actionnaire, ainsi que sur la manière dont la vision stratégique des pouvoirs publics sera transmise au sein du conseil d’administration des entreprises. 

Parmi les défis posés en matière de gouvernance, l’élaboration d’une stratégie actionnariale claire, avec des objectifs bien définis comme cadre de référence – permettant également aux autres actionnaires éventuels (dans le cadre d’une entreprise mixte) d’être informés de la politique menée, semble être un enjeu majeur.  

Ensuite, la problématique de la durabilité et de la pérennité de la stratégie se pose ouvertement aux administrateurs publics, mandatés par le gouvernement. En effet, comment supposer que les pouvoirs publics feront preuve de cohérence et respecteront leurs engagements à long terme dans une perspective de rotation politique, caractérisée par des changements réguliers et un horizon parfois à court-terme ? 

Enfin, l’augmentation des participations étatiques au sein des entreprises soulève également la question des compétences particulières des administrateurs publics à acquérir ou à perfectionner. 

Depuis de nombreuses années et déjà bien avant que la crise du COVID-19 ne vienne bouleverser nos vies, GUBERNA s’est penché avec grand intérêt sur ces questions de gouvernance au sein des entreprises publiques ou à actionnariat mixte. Une mise à jour de notre Note de Vision réalisée en septembre 2020 nous offre quelques pistes de réflexion qu’il semble particulièrement utile et pertinent de rappeler en cette période de participation accrue de l’Etat dans de multiples organisations. 

L’objectif de cet article est donc d’analyser en quoi les dispositions de notre Note de Vision ont été effectivement appliquées par le secteur public à la lumière de l’actualité récente. Il est évident que toutes les dispositions ne seront pas traitées en détails et que l’entièreté des initiatives publiques relatives à l’application de ces dispositions ne sera pas étudiée. Cependant, les points saillants seront discutés et permettront une vue globale des problématiques de gouvernance. 

Quelles pistes à suivre afin d’améliorer la gouvernance publique ?

1) Une centralisation accrue 

Tout d’abord, GUBERNA encourage la centralisation des actifs gouvernementaux au sein d’une entité distincte dans le but de se concentrer uniquement sur la politique actionnariale de l’Etat. Cette pratique permet aux pouvoirs publics de prendre une certaine distance et ne pas s’immiscer à tout prix, favorisant l’émergence d’une vision stratégique à long terme. Une séparation claire entre l’actionnaire étatique et la politique gouvernementale semble effectivement cruciale, bien qu’un alignement de ces derniers soit également nécessaire et souhaitable. De plus, une telle séparation laisserait davantage la définition stratégique aux mains du conseil d’administration, moins dépendante des aléas politiques.  

Cela fut effectivement l’option choisie au niveau fédéral, puisque comme l’indique l’Accord de gouvernement du 30 septembre 2020, le gouvernement vise à « centraliser toutes les participations de l’État fédéral au sein d’un même véhicule, c’est-à-dire au bilan de la Société fédérale de Participations et d’Investissement5 » et offre ainsi à la SFPI un rôle crucial dans la gestion des investissements stratégiques. 

Ceci a été concrétisé en mai dernier, suite à l’approbation officielle du Conseil des ministres quant à la centralisation des intérêts de l’Etat au sein de la SFPI. L’opération, présentée par le Ministre de tutelle Vincent Van Peteghem (CD&V), sera étalée dans le temps. Comme rapporté par le journal « De Tijd », Belfius, BNP Paribas, Ethias et la Loterie Nationale seront centralisés au sein de la SFPI dans le courant de l’année 2021, tandis que cela sera le cas en 2022 pour la société Credendo et en 2024 pour Bpost et Proximus. L’année dernière, la SFPI a d’ailleurs injecté 250 millions d’euros supplémentaires dans l’économie belge, principalement dans le secteur de l’aviation. Outre la finance, les soins de santé et l’aviation, la SFPI se concentrera davantage sur l’investissement à impact, l’énergie, les services publics et la mobilité dans les prochaines années6. 

Par ailleurs, la dernière initiative de la SFPI s’inscrit également parfaitement dans le cadre de la centralisation des actifs gouvernementaux. En effet, le 25 mai dernier, la SFPI a constitué une nouvelle filiale dénommée « Relaunch for the Future » ayant pour objet de « promouvoir l’initiative économique publique et de contribuer à la mise en œuvre de la politique industrielle de l’Etat »7, au capital souscrit de 500 millions d’euros. La mise en place d’une telle structure indique une fois encore que la SFPI réfléchit au développement d’une véritable politique économique publique et s’interroge sur une meilleure gouvernance actionnariale. 

2) Importance du processus de professionnalisation 

Ensuite, GUBERNA insiste sur l’importance du processus de professionnalisation des administrateurs publics. La centralisation des participations de l’Etat au sein d’une entité distincte autorise par ailleurs une transparence accrue de la nomination et de la révocation des mandataires publics - ce qui s’inscrit dans la lignée des recommandations de l’OCDE en matière de gouvernance : « L’État doit se comporter en actionnaire éclairé et actif de manière à garantir que la gouvernance des entreprises publiques est exercée de façon transparente et responsable, avec un haut degré de professionnalisme et d’efficacité8 ».  

Dans ce cadre, la SFPI s’est vu octroyée de nouvelles compétences en matière de sélection des administrateurs publics des entreprises dans lesquelles cette dernière détient une participation. En s’inscrivant dans les pratiques reconnues de bonne gouvernance, GUBERNA souhaite encourager les nouvelles missions de la SFPI. Cependant, il est regrettable que ces nouvelles compétences s’appliquent uniquement aux entreprises pour lesquelles la SFPI détient une participation, et non à toutes les organisations publiques. Il reste judicieux, à l’avenir, de mettre en place une procédure de sélection professionnelle pour tous types d’administrateurs d’entreprises publiques.  

La professionnalisation des conseils d’administration passe également par la formation des administrateurs. L’administrateur public jongle, par essence, avec de multiples casquettes qui peuvent parfois s’avérer complexes, voire contradictoires dans certains cas. En effet, l’administrateur public est à la fois fidèle à son mandat d’administrateur au sein d’une organisation publique et doit veiller à une bonne gouvernance de celle-ci, détenteur d’un mandat politique au sein d’une institution publique et membre d’un parti politique particulier.  

En ce sens, une formation adéquate permettant de gérer au mieux ces éventuels conflits paraît tout à fait pertinente afin d’appréhender un mandat d’administrateur public de manière la plus sereine possible. A titre d’exemple, il est intéressant de noter que le gouvernement flamand a pris la décision judicieuse d’offrir une formation spécifique aux membres du comité d’audit récemment nommés des entreprises publiques. Cette formation sera par ailleurs réalisée directement par GUBERNA.  

Une professionnalisation accrue des administrateurs et conseils d’administration passe également par une généralisation de la présence d’administrateurs indépendants au sein des sociétés publiques. En effet, comme mentionné dans la Note de Vision9 de GUBERNA, il est important de garder à l’esprit que les administrateurs publics sont mandatés par l’actionnaire étatique, et ne devraient pas être considérés comme représentants des partis politiques, afin d’établir une stratégie durable et cohérente.  

3) Note de politique actionnariale et canaux de communication fluides 

Enfin, une stratégie actionnariale à long terme et transparente des organisations publiques devra se faire à l’aide d’une note de politique actionnariale claire et précise et de canaux de communication fluides entre les organisations publiques et l’Etat.  

D’une part, la note de politique actionnariale permettra de garantir une certaine stabilité et cohérence des objectifs globaux suivis par l’Etat. D’autre part, des canaux de communication bien établis entre les sociétés publiques et l’Etat actionnaire permettront un dialogue constructif et un suivi optimal.  

GUBERNA insiste particulièrement sur l’établissement au préalable de canaux de communication clairs, structurés et transparents entre l’Etat actionnaire et l’entreprise publique concernée. Il semble inconcevable qu’un ministre ou un parlementaire développe un dialogue privilégié avec les administrateurs publics appartenant uniquement à sa couleur politique. 

Concrètement, établir de tels canaux de communication est une tâche ardue nécessitant un processus complexe à mettre en œuvre, qui ne peut pas s’appliquer de manière uniforme à l’ensemble des entreprises avec lesquelles l’Etat détient une participation. Il s’agira d’évaluer, au cas par cas, la nécessité de préserver l’équilibre entre d’une part la bonne compréhension et un dialogue ouvert, et d’autre part, la gestion autonome de l’entreprise. 

Les évènements récents au sein de l’entreprise Bpost ont clairement montré des lacunes évidentes en matière de communication entre l’Etat (actionnaire majoritaire) et les dirigeants de la société. En effet, la démission du précédent CEO Jean-Paul Van Avermaet insufflée par la Ministre de tutelle Petra De Sutter pour manque de transparence et de communication, ainsi que le départ du Président François Cornélis quelques semaines plus tard,avant la tenue de l’Assemblée générale, laissent imaginer un certain manque de dialogue entre les deux parties. 

Il peut donc être intéressant, sur base des principes de bonne gouvernance, que la relation entre l’Etat actionnaire et les entreprises liées soit davantage concrétisée et formalisée par un « relationship agreement », qui clarifie la méthode de consultation, les intervalles de rencontres, la définition des rôles, les modalités de communication et la transparence entre les deux parties. 

A cet égard, il apparait que le président du conseil d’administration puisse jouer un rôle de premier plan. Les pratiques de gouvernance de qualité prônent que celui-ci soit le point de contact privilégié pour les actionnaires. GUBERNA constate que certaines entreprises publiques ont mis en place avec succès un système de réunions fréquentes et régulières entre le président et l’actionnaire (comme la SFPI par exemple) et/ou le ministre de tutelle, et ce, afin d’assurer un alignement entre les stratégies de l’Etat actionnaire et de l’entreprise. Il revient ensuite au président de tenir son conseil d’administration informé de la teneur des discussions. 

Que retenir pour la suite ?

En guise de conclusion, quelques points saillants sont à garder à l’esprit. Premièrement, comme cela a été décrit en détails, les investissements et participations publiques ont, dans ce contexte de crise du coronavirus, très fortement augmenté, et ce à tous les niveaux de pouvoir.  

Ensuite, cette croissance des participations pose de nombreux défis en matière de gouvernance publique qui méritent toute notre attention. En effet, la définition d’une stratégie actionnariale claire, pérenne et durable de l’Etat dans un contexte de rotation politique régulière ainsi que la question de la professionnalisation des administrateurs publics sont des thématiques de grand intérêt pour GUBERNA. 

Afin de répondre à ces défis, de nombreux chantiers encourageants ont été entrepris par les pouvoirs publics en 2020 et 2021. Au niveau fédéral, il a été constaté une centralisation accrue et prometteuse des actifs gouvernementaux au sein d’une entité distincte, la SFPI. La toute récente initiative de cette dernière, nommée « Relaunch the Future », renforce encore un petit plus la vision stratégique d’une politique économique cohérente et durable. 

La professionnalisation des administrateurs publics, à travers un processus de sélection transparent et bien défini, semble avoir pris la bonne direction, bien qu’incomplète. En effet, la SFPI dispose désormais de certaines compétences en matière de nomination/révocation des administrateurs publics pour les entreprises dans lesquelles elle détient une participation. Cependant, les formations professionnalisantes à destination des administrateurs publics restent peu répandues au sein du secteur public en général.  

Enfin, GUBERNA réitère une fois encore l’importance de l’établissement de canaux de communication fluides entre l’Etat actionnaire et les entreprises publiques concernées – ceci restant une condition sine qua non d’une bonne gouvernance. 

Pour 2021-2022, GUBERNA souhaite que les mesures gouvernementales déjà prises en matière de centralisation des actifs et de professionnalisation des administrateurs publics se maintiennent, puis se développent encore davantage dans la durée. GUBERNA portera beaucoup d’attention à l’évolution des mesures en vigueur et analysera avec précision la progression de ces dernières lors de la prochaine mise à jour du centre de gouvernance publique.