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Après des mois d’âpres négociations, les négociateurs européens se sont enfin accordés sur la « directive sur le devoir de vigilance des entreprises en matière de durabilité ». En vertu de cette nouvelle législation européenne, les grandes entreprises devront s’assurer du respect de l’environnement, des droits de l’homme et de la bonne gouvernance, non seulement dans leurs propres activités, mais aussi dans leur chaine d’approvisionnement. Dans le présent article, nous offrons un tour d’horizon des nouvelles règles et de leurs éventuelles implications pour les conseils d’administration. 

D’une obligation de reporting à un devoir d’action 

La directive dite « due diligence » (Corporate Sustainability Due Diligence Directive,  ou CS3D) marque un changement de paradigme dans la politique de l’Union Européenne en matière de responsabilité sociétale des entreprises. Jusqu’ici, les autorités de l’Union avaient déjà pris des mesures en la matière (dont la fameuse directive ‘CSRD’ sur le rapport de durabilité), mais ces dernières se limitaient surtout à un devoir de transparence : les entreprises devaient publier des informations sur leur impact environnemental et social ainsi que sur les éventuelles mesures prises pour remédier à l’impact négatif. Mais rien n’obligeait ces mêmes entreprises à prendre des mesures actives pour remédier aux impacts négatifs potentiels ou avérés. La logique sous-jacente à ce devoir de transparence est que les investisseurs et autres parties prenantes, en étant correctement informés sur l’impact ‘ESG’ des entreprises, soient en mesure d’exercer une pression sur les entreprises pour qu’elles changent leurs pratiques. Par exemple, les investisseurs qui optent pour des investissements plus vertueux facilitent le financement des entreprises jugées durables, tandis que les entreprises les moins respectueuses de l’environnement ou des droits humains auront plus difficile à trouver des fonds. 

La directive CS3D va néanmoins un pas plus loin puisqu’elle crée une obligation positive d’action pour les entreprises. En 2022, la Commission Européenne était déjà explicite à cet égard dans sa communication : « les entreprises doivent intégrer le devoir de vigilance dans les politiques; recenser les incidences négatives réelles ou potentielles sur les droits de l'homme et l'environnement; prévenir ou atténuer les incidences potentielles; et mettre un terme aux incidences réelles ou les réduire au minimum; (…) ». 

Pour cette raison, un article de Cleary Gottlieb  (2021) parle d’une évolution d’un « duty to disclose » à un « duty to act ». Le même auteur estime d’ailleurs que le devoir de transparence et l’obligation d’agir sont complémentaires : les parties prenantes, les investisseurs et les régulateurs, d'une part, ne pourront évaluer l'efficacité des actions des entreprises que dans la mesure où des rapports comparables, fiables et pertinents sur la durabilité sont en place. Les entreprises, quant à elles, ne seront en mesure de divulguer des informations de manière appropriée, sans s'engager dans le greenwashing, que dans la mesure où leurs actions sont effectivement et correctement menées (traduction libre). 

Recenser, prévenir, corriger 

Les obligations découlant de la directive CS3D peuvent se résumer à ces trois verbes : recenser, prévenir, remédier. 

En effet, les entreprises seront tenues de se doter d’une politique de diligence raisonnable (due diligence) en matière d’environnement, de droits humains, et de gouvernance responsable. Les thématiques abordées sont diverses, telles que le travail des enfants, l’esclavage, l’exploitation du travail, la pollution, la déforestation, la consommation excessive d’eau ou les dommages causés aux écosystèmes. 

Les entreprises devront en outre se plier aux obligations suivantes :  

  • Une identification des impacts négatifs (réels et potentiels) de leurs activités sur l’environnement et les droits humains, mais aussi ceux de leurs « business partners », ce qui inclut les fournisseurs et les clients. 

  • Une prévention des impacts négatifs potentiels. Ceci implique par exemple l’obtention d’assurances contractuelles, le soutien aux fournisseurs, la réalisation d’investissements, ou encore la définition de plans d’actions préventifs. 

  • L’obligation de remédier aux impacts négatifs avérés. Ceci signifie que l’entreprise devra prendre des mesures correctrices pour mettre fin aux problèmes identifiés. Cela pourra se faire en collaboration avec le partenaire concerné par le problème. Une cessation du contrat commercial ne devra être envisagée qu’en dernier recours. 

Un autre volet important de la directive concerne la limitation du changement climatique : les entreprises devront en effet adopter un plan garantissant que leur modèle est conforme aux efforts mis en œuvre pour contenir le réchauffement climatique à 1,5 °C. Cette obligation fait explicitement référence à l’accord de Paris pour le climat de 2015. 

Europa

Enfin, il est intéressant de noter que la directive prévoit l’obligation pour l’entreprise de mettre en œuvre un engagement des parties prenantes tout au long du processus de diligence raisonnable. La directive ne précise pas de quelle manière cet ‘engagement’ devra se produire, mais elle ajoute néanmoins que les entreprises devront mettre en place des mécanismes de notification et de plainte à destination des parties prenantes impliquées. 

Pour assurer la mise en œuvre de ces différentes obligations, des sanctions et des mécanismes de contrôle devront être appliqués par les états membres. 

Une directive limitée aux grandes entreprises, mais… 

Il convient de remarquer que la directive CS3D ne s’appliquera qu’aux (très) grandes entreprises, à savoir celles dont le chiffres d’affaires global dépasse 450 millions d’euros et dont le nombre d’employés est supérieur à 1000. Selon un article d’Euractiv, ceci signifie que seules 0,05% des entreprises en Europes seront sujettes aux obligations. 

Ce nombre constitue une réduction de 70% par rapport à la proposition initiale des colégislateurs européens. Il s’agit en réalité d’un compromis visant à satisfaire les Etats membres craignant que la directive représente une charge administrative disproportionnée pour les entreprises. Certains secteurs dits « à haut risque » sont également supprimés de l’accord final, tandis que la mise en œuvre se fera par étapes. On peut donc dire que le texte final est fortement dilué par rapport à l’ambition initiale, suscitant des critiques de certaines organisations (voir par exemple l’opinion de WWF). 

Cela signifie-t-il pour autant que les petites entreprises n’ont aucun souci à se faire ? Selon un étude de la Commission Européenne (2023), les PME pourraient bien être impactées indirectement par la législation dans la mesure où les grandes entreprises dans le scope de la directive exigeront des petites entreprises dans leur chaine d’activités de leur fournir des informations et de se plier à certaines exigences découlant de la directive. C’est d’ailleurs pour cette raison que la directive CS3D prévoit des mesures de soutien pour les PME.  

Par ailleurs, le texte de la directive CS3D contient des « clauses de révision ». Ces dernières prévoient la possibilité d’une réévaluation future du champ d’application de la directive, ouvrant la voie à l’application des règles à un plus grand nombre d’entreprises (notamment dans certains secteurs à haut risque et dans le secteur financier).  

 

Quelles conséquences pour les conseils d’administration ? 

La proposition de directive initiale prévoyait spécifiquement des nouveaux devoirs pour les administrateurs. Ces obligations comprenaient la mise en place et la supervision des processus de diligence raisonnable et l'intégration de la diligence raisonnable dans la stratégie de l'entreprise. En outre, la texte demandait que les administrateurs tiennent compte des conséquences de leurs décisions sur les droits de l'homme, le changement climatique et l'environnement. 

Ces dispositions ont cependant été supprimées de l’accord final. Un des arguments était que la diversité des régimes légaux nationaux relatifs aux devoirs des administrateurs rendait difficile une harmonisation. Cet argument a été étayé par une récente enquête d’ecoDa et d’Allen & Overy (2023).  

Même en l’absence de telles dispositions dans la directive, rappelons que le droit belge prévoit un « devoir général de diligence » des administrateurs (à ne pas confondre avec le devoir de diligence ou de vigilance des entreprises créé par la directive). Ceci signifie que les administrateurs doivent agir avec prudence et diligence, et agir dans le meilleur intérêt de l’organisation. Une attention portée aux autres parties prenantes dans la chaine de valeur de l’entreprise peut faire partie de ce ‘devoir de diligence’ dans la mesure où l’intérêt de l’entreprise et de ses actionnaires est concerné, comme l’explique l’enquête d’ecoDa et d’Allen & Overy susmentionnée. 

Au-delà de l’aspect purement légal, rappelons que le Code belge de gouvernance d’entreprise invite les administrateurs à poursuivre une création de valeur durable. Pour ce faire, le conseil d’administration doit élaborer une approche inclusive, qui équilibre les intérêts et les attentes légitimes des actionnaires et ceux des autres parties prenantes. Il revient aussi au conseil de superviser les actions entreprises par le management et notamment la conformité avec le cadre légal. 

Partant de ces constats, les administrateurs des grandes entreprises dans le scope de la directive CS3D ont tout intérêt à s’informer sur les obligations découlant de cette directive et à superviser attentivement sa mise en œuvre par l’équipe de management. Même dans les entreprises qui ne sont pas directement soumises à la directive, une vigilance soutenue des administrateurs sur les questions de durabilité dans la chaine de valeur est un « must ». 

Conclusion 

Dans cet article, nous avons abordé la nouvelle directive sur le devoir de vigilance des entreprises en matière de durabilité. Celle-ci implique que les grandes entreprises européennes devront se doter d’une politique de « diligence raisonnable » en matière d’environnement et de droits humains, et seront tenues d’identifier, prévenir et remédier aux impacts négatifs de leurs activités et de celles de leurs partenaires commerciaux. 

Si la directive se limite aux très grandes entreprises, elle aura un impact indirect sur les PME. Par ailleurs, les administrateurs ne seront pas directement impactés, mais devront veiller à être suffisamment informés et surveiller la mise en œuvre de la politique de diligence raisonnable par le management.