Voices from our academic community: Mind the Gap - When governance doesn’t go as written
Dans beaucoup d’entreprises familiales, la charte est devenue un symbole de maturité et de professionnalisation. Mais sa valeur réelle ne se mesure pas à la qualité du texte, plutôt à la cohérence entre ce qu’il proclame et ce que la famille met en pratique. Car si les chartes familiales traduisent des intentions nobles — clarifier les valeurs, préserver la cohésion, assurer la pérennité —, elles se heurtent souvent à une réalité plus nuancée : celle des comportements. C’est là qu’apparaît ce que nous appelons un execution gap, c’est-à-dire l’écart entre les principes écrits et les pratiques observées.
Cet article a été rédigé par Raphaëlle Mattart, PhD, conseillère académique au CRAN et membre du Centre d’Entrepreneuriat et d’Innovation (CEI) – Université de Maastricht.
Avec mes coauteurs, Claudia Binz Astrachan (US) & Massimo Bau (SE), nous avons exploré ce phénomène dans un article intitulé “Do We Practice What We Preach? Ambivalent Effects of Execution Gaps in Family Constitutions”, distingué parmi les finalistes du prix Best Contribution to Practice Paper 2025 de l’IFERA. Nous y montrons que ces écarts ne sont pas seulement des signes d’incohérence : ils sont révélateurs des tensions et des ajustements constants qui traversent les familles entrepreneuriales. Une politique d’emploi familial ignorée, un processus de décision contourné ou une charte de distribution oubliée : ces décalages disent beaucoup sur la manière dont les valeurs s’incarnent — ou non — dans la gouvernance quotidienne.
En mobilisant la Behavioral Integrity Theory et la Behavioral Governance Theory, nous mettons en lumière un point souvent sous-estimé : la confiance repose avant tout sur la cohérence perçue entre ce qui est dit et ce qui est fait. Une règle non respectée ne menace pas seulement la légitimité du texte ; elle teste la capacité de la famille à affronter ses propres contradictions. Lorsqu’un écart est ignoré, la confiance s’érode et la gouvernance se vide de son sens. Lorsqu’il est reconnu et discuté, il devient au contraire un levier d’adaptation et de cohésion.
Il est important de comprendre que les execution gaps ne sont pas des dysfonctionnements en soi, mais des défis inhérents à toute gouvernance vivante. Ils ne traduisent pas un échec du système, mais la complexité du passage entre les intentions et les actes. La question n’est pas de savoir s’ils se produisent, mais comment la famille choisit d’y réagir. Les reconnaître, les discuter et en tirer des enseignements, c’est déjà renforcer la cohérence collective. Les ignorer, en revanche, revient à laisser s’installer une distance silencieuse entre les valeurs affichées et les comportements réels — distance où la confiance s’effrite peu à peu.
Car, au fond, la gouvernance familiale ne se joue pas dans les documents, mais dans les comportements qu’ils inspirent.
L’auteur
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Raphaëlle Mattart, PhD
Academic adviser at CRAN
Member of the Centre of Entrepreneurship & Innovation (CEI) – Maastricht University