Comment les sociétés cotées s’orientent-elles vers une création de valeur durable ?

La « création de valeur durable » n’est pas un concept nouveau. Mais en raison des nouvelles réglementations européennes, il mérite désormais plus que jamais une attention structurelle dans l’agenda du conseil d’administration. Ceci est la deuxième partie de notre série d’articles pratiques basés sur la récente « Study on sustainable value creation in Belgian Listed Companies » .

Dans cette étude, commandée par la Commission belge de gouvernance d'entreprise, nous avons voulu étudier et évaluer comment et dans quelle mesure nos sociétés cotées interprètent et appliquent la « création de valeur durable ».

Dans la première partie, nous nous sommes concentrés sur la définition, le rôle des administrateurs et la nécessité d'une création de valeur durable. Nous présentons ci-dessous les principales conclusions de notre recherche, situées dans le débat social et politique.

Résumé général

Le processus de création de valeur durable est avant tout un projet stratégique qui touche toutes les composantes de l’entreprise et de nombreuses parties prenantes : administrateurs, management, actionnaires ou investisseurs, collaborateurs, gouvernement, réseau et l’environnement au sens large. Parallèlement, le débat social et le cadre réglementaire continuent également d’évoluer. Voici un résumé des principales conclusions de l’étude. 

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1. Transition

La plupart des sociétés cotées belges travaillent désormais efficacement sur leur transition durable. Elles intègrent la création de valeur durable dans leur mission, leur stratégie, leurs activités et leur reporting. Mais il ne s’agit pas seulement d’un processus complexe qui nécessite du temps, des efforts, des procédures et d’autres ressources.

Il s’agit avant tout d’un enjeu stratégique qui nécessite des décisions concrètes de la part du conseil d’administration. Les entreprises réalisent qu’elles ne peuvent plus considérer la durabilité comme un pilier distinct. Elles doivent l’intégrer pleinement au cœur et dans tous les aspects de leur stratégie commerciale. Ce processus complet comprend certainement une analyse de matérialité et le développement de systèmes de mise en œuvre et de suivi, y compris des KPI quantitatifs. Afin de pouvoir ancrer ceci pleinement à tous les niveaux de l'entreprise et au-delà des frontières de l'entreprise, la création d'une culture organisationnelle appropriée avec des employés dévoués est essentielle.

 

2. Compétence

Les administrateurs sont globalement conscients des enjeux de durabilité et de l’importance d’accompagner la transition. Cependant, exiger une expertise spécifique dans le domaine de la durabilité ou placer la durabilité comme point distinct à l’ordre du jour sont des options encore moins populaires. Le rôle concret que joue un conseil d'administration en matière de durabilité varie d'un rôle passif à un rôle de « proposition » fort.

 

3. Réalisation

84 % des entreprises interrogées ont désormais défini une stratégie de développement durable, mais sa mise en œuvre pratique avec une réelle priorité à long terme conduit à un exercice d'équilibre délicat et complexe entre les différentes exigences des parties prenantes et des actionnaires. Entre-temps, la création de valeur économique reste l’objectif principal de nombreuses entreprises.

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4. Mission et vision

L'inclusion d'éléments environnementaux et/ou sociaux dans la déclaration d'objet social est une pratique courante dans plus de 80 % des entreprises interrogées. Mais ces entreprises considèrent avant tout leur déclaration d’objet social révisée comme un instrument de communication auprès des parties prenantes internes et externes. La « formalisation » d’un objectif d’entreprise durable dans les statuts n’est vraiment pas une priorité pour la grande majorité.

5. Reporting

Le reporting en matière de développement durable est devenu une pratique courante dans la grande majorité des sociétés cotées. Les attentes des actionnaires (de référence) et des parties prenantes sont les principaux moteurs de la recherche d’une création de valeur durable. Cependant, le niveau de maturité varie, notamment en ce qui concerne le caractère « intégré » du reporting et l'assurance apportée. Le reporting étant également utilisé pour inciter les managers à agir, il subsiste un risque de greenwashing et d’approche « tick-the-box ».

 

6. Initiative

Dans la plupart des cas, la direction prend l'initiative de déterminer la stratégie de développement durable, tandis que le conseil d'administration est davantage considéré comme un « gardien » : 48 % des personnes interrogées indiquent que le conseil d'administration est fortement impliqué dans la stratégie de développement durable, tandis que 52 % indiquent que le conseil d'administration est « quelque peu » voire « faiblement » impliqué dans la stratégie de développement durable.

La durabilité est également abordée par un comité consultatif du conseil d'administration. Parfois, un comité spécial de développement durable est créé pour soutenir le conseil d'administration dans les premières phases de la transition vers le développement durable. En outre, la pratique consistant à inclure des critères de durabilité dans la rémunération variable des managers gagne également en importance.

 

7. Variété

De plus, la durabilité est perçue de différentes manières selon certaines caractéristiques de l’entreprise. Chaque entreprise estime également différemment les différents facteurs eESGH.

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Nous avons également des preuves que la taille de l’entreprise, le secteur et la structure de propriété sont importants pour les actions en matière de développement durable. Par exemple, les PME sont moins bien équipées que les grandes entreprises en matière de durabilité. Ces entreprises pourraient être spécifiquement soutenues par des exigences réglementaires/politiques plus légères, par des incitations financières/fiscales ou par des orientations ciblées. Les grandes entreprises ont tendance à disposer de plus de ressources et de pratiques plus formalisées liées à la création de valeur durable.

Les entreprises disposant d’un actionnariat concentré et stable, comme les entreprises familiales, semblent mieux équipées pour poursuivre des pratiques de développement durable à long terme. En revanche, la création de valeur durable semble davantage ancrée dans le fonctionnement du conseil d’administration des sociétés à actionnariat dispersé, peut-être en raison de la présence d’administrateurs indépendants plus professionnels.

 

Le conseil d’administration comme facteur essentiel de création de valeur durable.

Il existe plusieurs options pour renforcer l’implication nécessaire du conseil d’administration dans les questions de développement durable. Ces actions, entre autres, sont abordées dans l’étude.

  • Intégration générale de la durabilité dans les décisions du conseil d'administration.
  • Formation continue et formation en développement durable pour les administrateurs.
  • Le développement d’un consensus sur les actions administratives qui peuvent stimuler la transition vers la durabilité.
  • Un plus grand impact du conseil d’administration sur la stratégie et le reporting en matière de développement durable.
  • L’intégration de critères ESG dans la sélection et l’évaluation des dirigeants.
  • La mise en place du propre comité de durabilité.

 

Quel peut être le rôle du gouvernement ?

La politique gouvernementale et les régulateurs peuvent également faciliter une véritable transition vers un modèle économique durable. Cela peut être fait, entre autres, par :

  • Offrir des incitations plutôt que des obligations.
  • Une harmonisation maximale des obligations.
  • Prendre davantage en compte l’individualité et les différents secteurs des sociétés cotées. Parce que la durabilité a différentes significations.
  • Initiatives visant à accroître la sensibilisation au développement durable auprès des administrateurs et des dirigeants.
  • Une réglementation audacieuse et ambitieuse qui permet en même temps une flexibilité suffisante dans sa mise en œuvre.

Par exemple, le gouvernement pourrait fixer un ensemble simple et cohérent d’objectifs sociaux et environnementaux à atteindre au niveau sectoriel et industriel, sans s’impliquer dans la microgestion des processus décisionnels des entreprises. Une importance excessive accordée au reporting et aux exigences formelles est susceptible d'encourager une approche axée sur la conformité, mais détournera l'attention des entreprises des aspects stratégiques de la création de valeur durable.

On constate une demande claire de la part des entreprises pour une approche « one size DOES NOT fit all ».

 

Thème actuel en plein développement

L’étude est un instantané exploratoire. En plus d’une série de conclusions importantes et de quelques outils concrets qui seront abordés plus tard, l’étude contient également d’importantes questions de discussion et incertitudes. Voici quelques questions à aborder de manière ouverte et créative lors des discussions avec les administrateurs et les managers :

  • Comment les pratiques durables des entreprises vont-elles encore évoluer, dans ce contexte économique et réglementaire très incertain ?
  • Comment la (future) législation européenne influencera-t-elle les politiques de développement durable des différentes entreprises ?
  • Les entreprises européennes continueront-elles à montrer la voie en matière de création de valeur durable, ou seront-elles « distraites » par d’autres priorités urgentes ?
  • L’élargissement de la responsabilité juridique des entreprises et de leurs dirigeants fera-t-il une différence significative ?
  • Cette création de valeur durable, telle qu'on la définit aujourd'hui, est-elle réellement la réponse adaptée aux défis écologiques et sociaux auxquels nous sommes confrontés ?
  • Comment les actions entreprises au niveau individuel peuvent-elles avoir un impact significatif sur les défis mondiaux ?
  • La poursuite de la croissance économique, au niveau des entreprises ou au niveau macroéconomique, est-elle encore compatible avec un monde durable ?

 

Voilà pour les considérations générales et le cadre. Dans les épisodes suivants, nous approfondirons l’approche pratique de la création de valeur durable. Que peut-on faire spécifiquement pour cela ?