Gouvernance d’entreprise et accès au financement des PME : un levier sous-estimé
La gouvernance d’entreprise est souvent perçue par les entrepreneurs comme une contrainte administrative ou une formalité légale, éloignée des préoccupations quotidiennes de gestion. Pourtant, loin d’être un simple cadre réglementaire, une gouvernance bien structurée constitue un véritable levier de croissance, notamment en facilitant l’accès au financement.
1. PME et accès au financement : un défi persistent
Contrairement aux grandes entreprises, les PME rencontrent davantage de difficultés pour obtenir des financements externes, notamment sous forme de crédit bancaire. Elles ont donc tendance à s’appuyer sur des fonds internes ou personnels, ce qui peut limiter leur capacité de développement. Un rapport de la Banque mondiale (2018) souligne d’ailleurs que près de la moitié des PME du secteur formel n’ont pas accès au crédit bancaire. Heureusement, au-delà de l’endettement traditionnel, de nombreuses alternatives de financement existent, chacune ayant ses spécificités et ses implications en matière de gouvernance.
Comme nous le verrons plus loin, la mise sur pied d’un conseil d’administration (ou d’un conseil d’avis dans un premier temps) permet également d’ouvrir son réseau et d’identifier de multiples sources de financement adaptées aux besoins de son entreprise.
2. Panorama des sources de financement possibles
En se basant sur un document de la Société Financière Internationale (Société Financière Internationale, 2021), nous pouvons établir une liste des différentes sources de financement à destination des PME.
Le financement participatif offre une alternative intéressante aux PME cherchant à lever des fonds auprès d’un large public via des plateformes en ligne. Il existe deux principales formes : le crowdfunding d’une part, qui permet aux investisseurs de prendre des parts dans l’entreprise ou d’obtenir des contreparties sous forme de produits/services ou le crowdlending, d’autre part, qui repose sur un système de prêts avec remboursement et intérêts, sans dilution du capital. Cependant, le financement participatif reste assez limité en Belgique, comme le souligne Jan Oosterlinck, Partner Financial & Family Business Advisory chez BDO. En effet, le marché du crowdfunding a représenté seulement 123 millions d’euros en Belgique en 2024, comme indiqué par la plateforme spécialisée Look&Fin.
Les Business Angels représentent une autre possibilité. Il s’agit d’investisseurs individuels, généralement des entrepreneurs ou des cadres expérimentés, qui financent des PME en échange d’une participation au capital. Leur apport ne se limite cependant pas à l’argent : Ils peuvent jouer un rôle de mentor, en partageant leur expertise et leur réseau et accompagnent la PME dans ses choix stratégiques. Ce type d’investissement est particulièrement adapté aux startups et aux jeunes entreprises innovantes.
Une PME peut également rechercher un Partenariat stratégique avec une entreprise plus grande, qui investit dans son capital pour des raisons industrielles ou commerciales. Ces accords permettent un partage d’expertise et de ressources et une sécurisation de la chaîne d’approvisionnement (par exemple, lorsqu’un grand groupe investit dans un fournisseur stratégique). Dans ce cadre, l’investisseur privilégie souvent une vision long terme, en contribuant au développement de l’entreprise partenaire.
Les PME peuvent aussi bénéficier d’un soutien financier à travers des fonds d’investissement publics, qui interviennent sous forme de prêts ou de prises de participation au capital. Ces financements jouent un rôle clé dans le développement des entreprises en leur apportant des ressources essentielles pour leur croissance. Contrairement aux investisseurs privés, les fonds publics ne recherchent pas uniquement un retour financier. Ils peuvent être motivés par des objectifs plus larges, tels que : le développement économique local, la création d’emplois, le soutien aux secteurs stratégiques ou encore la promotion de la durabilité et de l’innovation.
Pour les jeunes entreprises en développement, il est essentiel de distinguer les différentes étapes de financement. Le seed capital (ou capital d’amorçage) intervient au tout début du parcours, notamment pour les start-ups en phase de lancement ou sur le point de développer un premier produit, souvent appelé minimum viable product (MVP). Ce financement initial provient généralement des fondateurs eux-mêmes, de leur entourage, de business angels ou encore de fonds spécialisés.
Une fois le produit testé sur le marché et les premiers signes de développement confirmés, l’entreprise peut se tourner vers le venture capital. Ce dernier intervient à un stade plus avancé, lorsque le potentiel de croissance est établi, afin d’accompagner le développement à grande échelle, l’expansion commerciale ou l’internationalisation.
Pour les PME plus matures et solidement établies, le financement en private equity constitue un levier stratégique pour accélérer leur croissance, financer une acquisition ou préparer une transmission. Comme le souligne une fois encore Jan Oosterlinck, ce type d’investissement permet notamment de mettre en place une stratégie dite « buy & build », consistant à s’appuyer sur une entreprise plateforme solide pour réaliser des acquisitions complémentaires, les intégrer et ainsi créer de la valeur à l’échelle du groupe.
3. L’impact du financement externe sur la gouvernance des PME
Lorsqu’une PME fait appel à un financement externe, les exigences en matière de gouvernance s’intensifient et deviennent plus formalisées. Les investisseurs, qu’ils soient publics ou privés, attendent une structure de gouvernance claire, capable d’assurer un suivi rigoureux des décisions stratégiques et opérationnelles.
3.1 Mise en place d’un conseil d’administration structuré
L’un des premiers changements structurants réside dans la création, ou la formalisation, d’un conseil d’administration. Celui-ci joue un rôle clé en assurant une claire séparation entre la gestion opérationnelle, confiée à l’équipe dirigeante, et la supervision stratégique, assumée par le conseil. Ce dernier est chargé de prendre des décisions structurantes dans un cadre transparent, rigoureux et bien défini.
Dans le cadre d’une levée de fonds ou de l’entrée de nouveaux investisseurs, il est fréquent que ces derniers demandent à intégrer le conseil d’administration, afin d’exercer un droit de regard et de participer à l’orientation stratégique de l’entreprise.
Par ailleurs, comme le rappelle une nouvelle fois notre Partenaire Jan Oosterlinck, un autre changement fondamental concerne la professionnalisation du processus de décision. L’époque des décisions informelles, souvent basées sur l’intuition, tend à disparaître. La gouvernance avancée s’appuie désormais sur une collecte d’informations structurée, des analyses approfondies et des échanges d’arguments, permettant ainsi d’éclairer les choix stratégiques de manière plus objective.
3.2 Professionnalisation de la gouvernance
L’ouverture du capital implique généralement une montée en maturité des pratiques de gouvernance. Pour répondre aux attentes des investisseurs, la PME devra mettre en place : un reporting détaillé sur ses activités et ses performances, des indicateurs clés de performance (financiers et non financierss) permettant de suivre l’évolution de l’entreprise ainsi que des processus de gestion financière et stratégique plus rigoureux.
3.3 Mise en place de contrôles et d’audits internes
Afin d’évaluer et de maîtriser les risques, le conseil d’administration peut exiger des audits internes réguliers, des contrôles financiers et opérationnels renforcés et des plans de gestion des risques, notamment en matière de trésorerie, de conformité réglementaire et de cybersécurité.
4. Importance d’un pacte d’actionnaire
GUBERNA souligne l’importance de la rédaction d’un pacte d’actionnaire lorsque des investisseurs entrent au capital d’une PME, qui devient un élément clé de la gouvernance. Ce document contractuel permet de préciser les droits et obligations de chaque actionnaire et d’anticiper d’éventuels conflits. Ceci est particulièrement important en ce qui concerna la vision et la stratégie à long terme de l’entreprise, en permettant un alignement transparent des différents actionnaires. Ceci peut également servir de balise entre les différents actionnaires, et rassurer le CEO/fondateur qui craint de perdre le contrôle de son entreprise.
5. Conclusion
Arnaud Hubert le constate régulièrement dans son activité auprès des PME : si la gouvernance d’entreprise est parfois perçue comme une contrainte, cette dernière se révèle être un levier stratégique essentiel pour les PME, en particulier lorsqu’elles recherchent des financements externes. Une structure de gouvernance bien définie rassure les investisseurs, facilite l’accès aux capitaux et contribue à la pérennité de l’entreprise. En mettant en place des conseils d’administration efficaces, des processus de gestion rigoureux et des mécanismes de contrôle adaptés, les PME peuvent non seulement sécuriser leurs financements, mais aussi renforcer leur compétitivité et assurer un développement durable.
Jan Oosterlinck le confirme : « mettre en place un processus de gouvernance formel avant toute démarche de financement constitue un atout important pour rassurer et convaincre les investisseurs externes ou les banques ».
Le besoin de professionnalisation de la gouvernance d’une PME dépend de ses ambitions et nul besoin de structurer sa gouvernance de manière rigide, car ‘one size doesn’t fit all’ comme le rappelle régulièrement GUBERNA. L’important, c’est surtout d’entamer une réflexion sur la répartition des rôles, la prise de décision et la pérennité de l’entreprise. Une gouvernance bien pensée, même imparfaite, permet d’anticiper les défis, de gagner en efficacité et de créer un cadre de confiance pour les équipes et les partenaires. L’essentiel est d’adopter des pratiques adaptées à la taille et aux ambitions de l’entreprise, en évoluant progressivement.
Jan Oosterlinck rajoute que le coût (en termes de temps, d'énergie, de reporting, ...) lié à la mise en place ou au renforcement de la gouvernance est relativement limité par rapport aux bénéfices qu'elle génère à long terme.
Que vous soyez une PME ayant une structure de gouvernance débutante ou déjà bien avancée, les recommandations du Code Buysse IV représentent une belle source d’inspiration et permettent aux PME de structurer leur gouvernance de manière efficace et adaptée à leur réalité. Sans imposer de cadre rigide, ce code de gouvernance spécialement adapté aux entreprises non cotées présente les bonnes pratiques afin de clarifier les rôles, anticiper les défis et assurer la pérennité de l’entreprise.
Notre Partenaire
Article by:
Arnaud Hubert, SME Governance Research Associate GUBERNA
Jan Oosterlinck, Partner Financial & Family Business Advisory BDO
Sources :
World Bank. 2018. Small and medium enterprises (SME) finance: Improving SMEs’ access to finance and finding innovative solutions to unlock sources of capital. World Bank website (http://www.worldbank.org/en/topic/ smefinance) in Société Financière Internationale (IFC), Manuel de gouvernance des PME. Groupe de la Banque mondiale, 2021. Disponible en ligne : https://www.ifc.org/content/dam/ifc/doc/mgrt/ifc-sme-guide-french-lowres.pdf
Société Financière Internationale (IFC), Manuel de gouvernance des PME. Groupe de la Banque mondiale, 2021. Disponible en ligne : https://www.ifc.org/content/dam/ifc/doc/mgrt/ifc-sme-guide-french-lowres.pdf
https://www.lookandfin.com/fr/actualite/bilan-2024-du-crowdfunding-belge-123-millions-eur-collectes-don-65-millions-eur-pour-le-leader-look-fin