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  • Codes & Regulations
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  • Family Business
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Comment rémunérer les actionnaires familiaux actifs à différents échelons de la société familiale ? Dans ses contacts réguliers avec la communauté « family business » belge, GUBERNA a constaté que de plusieurs sociétés familiales se posent cette question. Par exemple, certaines se demandent dans quelle mesure les actionnaires familiaux doivent être rémunérés pour un mandat d’administrateur s’ils reçoivent déjà un dividende en tant qu’actionnaire, ou bien un salaire en tant que manager de la société. Les réponses varient souvent en fonction de la taille et de la maturité de la société. Dans cet article, nous faisons un tour d’horizon des pratiques observées en matière de rémunération des membres de la famille dans les entreprises familiales, nous identifions les principaux défis et proposons quelques bonnes pratiques à destination des entreprises familiales et de leurs conseils d’administration. 

Des pratiques de rémunération qui diffèrent selon rôle joué au sein de l’entreprise

Dans la pratique, les membres familiaux peuvent revêtir plusieurs rôles dans l’entreprise familiale, parfois en combinaison, et l’on observe des pratiques de rémunération différentes pour chacun de ces rôles.  

  • Le rôle « de base » de tout familial est généralement celui d’actionnaire, pour lequel il ne reçoit pas de rémunération spécifique. En tant qu’actionnaire, il reçoit néanmoins un dividende, qui constitue un prix pour le capital investi dans la société et le risque financier encouru. A cet égard, le lecteur peut se référer à l’article de GUBERNA relatif aux dividendes dans les sociétés familiales

  • Par ailleurs, il est fréquent que des membres de la famille exercent un rôle exécutif au sein de la société. On observe ici une tendance nette à rémunérer les membres de la famille de la même manière que les employés non-familiaux qui occuperaient le même poste, sur base de critères objectifs. Par exemple, une étude de Michiels et al. (2012)1 établit une relation positive entre la performance financière de l’entreprise familiale et l’utilisation d’une rémunération basée sur la performance, en ce compris pour les membres de la famille actifs au sien de la société.  On observe une tendance similaire en ce qui concerne la sélection pour un poste au sein de la société familiale : la même procédure est appliquée pour les candidats familiaux et non familiaux, sur base de critères bien définis ; le candidat familial ne reçoit la préférence que lorsque les compétences sont jugées égales. De telles pratiques sont d’autant plus pertinentes que la fonction est élevée dans la hiérarchie de l’entreprise.  

  • Enfin, le membre familial peut également jouer un rôle en tant qu’administrateur de la société. Dans les petites sociétés familiales de première ou de seconde génération, ce rôle n’est généralement pas rémunéré en tant que tel. Ceci change lorsque des administrateurs externes intègrent le conseil d’administration : alors que dans une première phase, il se peut que seuls les administrateurs externes reçoivent une rémunération pour leur mandat, dans des sociétés plus matures, il est courant que les administrateurs externes et familiaux se voient accorder la même rémunération fixe, éventuellement couplée à des jetons de présence. L’étude de GUBERNA sur les pratiques de gouvernance des candidats du Family Business Award of Excellence®2 indique par exemple que plus de 9 sociétés familiales sur 10 accordent une rémunération aux administrateurs pour leur mandat. Dans la mesure où tous les administrateurs (familiaux et non familiaux) assument une même mission et une même responsabilité, il est habituel qu’ils soient tous rémunérés de la même manière. Néanmoins, lorsque l’entreprise gagne en maturité, il arrive que le conseil souhaite recruter des administrateurs au profil international et spécialisé, au vu de la complexité et des enjeux auxquels l’entreprise est confrontée. En général, ces profils se paient cher sur le marché international. La société devra alors choisir entre augmenter la rémunération de tous les administrateurs de manière équivalente (ce qui pourrait mener à des tensions entre les actionnaires familiaux qui sont siègent au conseil d’administration et ceux qui n’y figurent pas, voir infra), ou prévoir des niveaux de rémunération différenciés, au risque de créer un conseil d’administration à deux vitesses. 

Les constats qui précèdent sont encore plus marqués dans les entreprises familiales cotées en bourse, dans la mesure où les exigences de bonne gouvernance y sont plus strictes et plus surveillées. Cependant, cette tendance à la professionnalisation et au traitement similaire des familiaux et non familiaux s’observe également dans les entreprises familiales non cotées. 

L’art d’aligner les intérêts

La rémunération des actionnaires familiaux constitue un défi de taille pour les sociétés familiales, et ce pour plusieurs raisons. Tout d’abord, il s’agit d’éviter les tensions et les conflits : dans la mesure où les membres familiaux peuvent être actifs à plusieurs échelons de l’entreprise familiale, souvent en cohabitation avec des personnes externes à la famille, l’on peut aisément s’imaginer que les pratiques de rémunération soient une source de perceptions divergentes en termes d’équité et de mérite. Ceci peut potentiellement mener à des tensions entre familiaux et non familiaux, et entre membres actifs et non actifs de la famille. Une seconde raison tient au fait que la rémunération est aujourd’hui perçue comme un instrument de choix pour contribuer à l’alignement des différentes parties en présence avec l’intérêt de l’entreprise. Elle est vue comme un levier pour réaliser la stratégie à long terme de l’entreprise. En bref, la rémunération est au cœur de la bonne gouvernance. 

Recommandation : une politique claire et transparente

Dans ce contexte, quelles sont les bonnes pratiques de rémunération qui sont susceptibles de réponde aux défis mentionnés ci-avant ? S’il n’existe pas de recette unique (“there is no one size fits all”), quelques ‘best practices’ valent la peine d’être mentionnés : 

  • Les entreprises familiales jouissent généralement d’une large liberté en matière de rémunération : il existe peu de prescrits légaux ou extra-légaux régissant cette matière. Néanmoins, il est conseillé de se doter d’une politique de rémunération cohérente. 

  • La politique de rémunération des membres de la famille actifs aux différents échelons de la société pourra être formalisée dans le cadre d’une charte familiale, telle que conseillé par le Code Buysse III, le code de référence pour les sociétés non cotées. Dans tous les cas, la politique de rémunération sera aussi communiquée aux personnes pertinentes. Ceci permettra de créer de la transparence et de la clarté pour tout le monde. Le niveau de rémunération sera de préférence explicitement lié aux formations, compétences et expériences requises pour chaque poste (administrateur ou fonction exécutive). Ensuite, il s’agit surtout d’anticiper et de prévoir les règles du jeu à suivre avant que des situations problématiques se présentent. En l’absence de règles du jeu préalablement définies, les solutions proposées risquent d’être perçues comme personnelles et arbitraires. 

  • La politique de rémunération prendra aussi en considération les personnes qui ne sont pas membres de la famille. A cet égard, le principe d’équité (‘fairness’) sera crucial : il convient de s’assurer que les familiaux et non-familiaux ont le sentiment d’être traités de manière équitable. Pour y parvenir, les entreprises familiales doivent trouver un équilibre entre la méritocratie et la légitimité. 

  • Au niveau du conseil d’administration, la rémunération des membres de la famille (au-delà du dividende) n’est pas obligatoire, mais elle est recommandable afin de responsabiliser, d’augmenter la crédibilité de la fonction et d’éviter les malentendus par rapport à ses droits et devoirs liés à la fonction. En amont, il est une bonne pratique de travailler avec une lettre de mission pour les membres du conseil et d’y mettre la rémunération en relation avec les attentes en termes de présence, d’investissement personnel, de préparation, de développement professionnel, etc.  

  • Enfin, la création d’un comité de rémunération au niveau du conseil d’administration pourra contribuer à une objectivation des choix en matière de sélection (si les comités de rémunération et de nomination sont combinés), d’évaluation et de rémunération. L’article 5.31 du Code Buysse III précise notamment que « il peut être utile que le comité de rémunération reçoive la compétence de formuler des recommandations concernant tous les membres de la famille qui sont actifs dans l’entreprise familiale, y compris en dehors du conseil d'administration et du management, et d'en assurer le suivi. » Ce rôle sera renforcé si le comité de rémunération est majoritairement composé d’administrateurs indépendants / externes. Le lecteur est invité à consulter le guide pratique de GUBERNA & Hudson relatif au comité de rémunération et à la rémunération exécutive

  • On évitera bien sûr de tomber dans un excès de formalisme. Les règles de rémunération ne doivent pas freiner l’entreprenariat et les initiatives bénévoles et spontanées qui caractérisent les sociétés familiales. 

En conclusion, nous avons constaté que les entreprises familiales rémunèrent les membres familiaux différemment selon le rôle qu’ils jouent aux différents étages de la société. Ces pratiques de rémunération doivent répondre au défi d’aligner les différents intérêts en présence afin de réaliser la stratégie de l’entreprise et de créer de la valeur durable, tout en favorisant un actionnariat stable et durable. Si les entreprises n’ont aucune obligation de rémunérer un actionnaire familial au sein du conseil d’administration au-delà du dividende versé, il est conseillé de prévoir une rémunération aux administrateurs familiaux : ceci permet d’éviter des malentendus par rapport à ses droits, devoirs et responsabilités liés à la fonction et d’augmenter la crédibilité de sa position. Les pratiques seront de préférence formalisées dans une politique de rémunération claire et transparente. 

Pour poursuivre le débat, GUBERNA et Hudson lanceront prochainement une plateforme consacrée au comité de rémunération, à destination des entreprises familiales. Y seront abordées des questions telles que le rôle du comité de rémunération, son fonctionnement et les nouvelles tendances en matière de rémunération. Etes-vous intéressés de contribuer à cette plateforme ? N’hésitez pas à nous contacter ! 

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Lisez aussi le nouvel article de Prof dr. Anneleen Michiels (UHasselt) “Formal HRM in family SMEs: the role of family-centered goals and family governance”. Dans cet article, l’auteur explique comment la gouvernance familiale peut aider à renoncer au contrôle familial total et à mettre en place des meilleures pratiques en matière de ressources humaines.