La suppression de la « quasi-immunité des auxiliaires » : quelles modifications devez-vous apporter au sein de l'organisation et dans le cadre de l'exercice de votre mandat d'administrateur ?
Le monde des affaires en émoi
Au début de cette année, le nouvel article 6:3 du CC (Code civil) a suscité beaucoup d'émoi, y compris dans le monde des affaires.
Très peu de temps après l'approbation du projet de loi, des messages alarmants sont apparus dans tous les médias ciblant le segment des administrateurs : la « suppression de la quasi-immunité de l'agent d’exécution » aurait des conséquences lourdes pour les salariés et les administrateurs. Ces derniers en particulier, souligne De Tijd, seraient exposés à un risque de responsabilité (encore une fois) accru :
« La rupture est la plus grande pour les administrateurs d'entreprises. Alors qu’aujourd’hui il faut une infraction pénale pour tenir personnellement responsable un administrateur d’un manquement de l’entreprise, désormais une simple erreur suffit » (1)
Mais est-ce exact ?
Nous avons étudié cela pour vous par le biais de quelques questions pratiques, en collaboration avec nos experts Maître Coralie Mattelaer (Impact Advocats) et le Professeur Joeri Vananroye (Quinz, KULeuven ) lors du séminaire GUBERNA qui a eu lieu le 11 juin 2024 et sur la base d'une analyse plus approfondie des sources actuelles.
Heureusement, la réalité s’avère moins sensationnelle. Nous avons dès lors souhaité apporter de la nuance et mettre l’accent sur les ajustements que la nouvelle situation requiert dans l'organisation et l'exercice de votre mandat d’administrateur.
De quoi s'agit-il?
Eh bien, le nouvel article 6:3 du Code civil § 2 stipule: « Sauf si la loi ou le contrat en dispose autrement, les dispositions légales en matière de responsabilité extracontractuelle sont applicables entre la personne lésée et l'auxiliaire de ses cocontractants. »
Dans le jargon des administrateurs, cela signifie que lors de l'exécution des contrats par la société ou l'association, un cocontractant lésé peut se retourner :
- Sur la base de la responsabilité contractuelle : uniquement contre la société ou l'association (ceci n'est bien sûr pas nouveau)
- Sur la base de la responsabilité extracontractuelle : tant contre la société ou l'association que contre « l’auxiliaire » de la société ou de l'association (« auxiliaire » est la nouvelle dénomination légale de ce qui était auparavant appelé « agent d’exécution » par la jurisprudence).
Cela abolit donc « la quasi-immunité de l'agent d’exécution », ainsi appelée dans le jargon juridique, car dans l'ancien système il était quasiment impossible d'invoquer conjointement la responsabilité contractuelle et extracontractuelle d'un « agent d’exécution » (2)
Le législateur veut ainsi mettre fin à la situation privilégiée de « l'agent d’exécution ou de l’auxiliaire jouissant de la quasi-immunité », telle qu'elle a été créée il y a un demi-siècle par le pouvoir judiciaire. (3) L'objectif était essentiellement de faire en sorte que dans une chaîne de clients, le client final puisse plus facilement s’adresser aux « auxiliaires » (à savoir : « les exécutants effectifs ») en cas de faillite d'un « intermédiaire ». (4)
La nouvelle disposition fait partie du livre 6 du nouveau Code civil, approuvé le 7 février 2024 et publié au Moniteur belge le 1er juillet 2025. (5) La loi entrera en vigueur le 1er janvier 2025 (le premier jour du sixième mois après celui de sa publication au Moniteur belge).
Il est encore tôt…
Lors du séminaire du 11 juin 2024, GUBERNA en collaboration avec Maître Coralie Mattelaer et le professeur Joeri Vananroye ont abordé les nombreuses questions pratiques qui ont surgi en réponse à ces communiqués de presse concernant une éventuelle augmentation de la responsabilité des administrateurs.
Les questions ont été posées par les membres de GUBERNA et par Leen Lefevere, Partenaire chez BDO Advisory, qui représentait BDO, le partenaire de GUBERNA en matière de PME. Nous avons regroupé ceci autour de trois thèmes :
(i) Que signifient les nouvelles règles dans la pratique ?
(ii) Comment puis-je m'y préparer en tant qu’administrateur ?
(iii) Comment ces dispositions peuvent-elles être interprétées conjointement avec d’autres dispositions légales ?
Sur la base des réponses apportées lors du séminaire et d'une exploration plus approfondie des conséquences de la réglementation à l'aide de sources existantes, cette contribution donne un aperçu de l'état actuel des choses.
Certaines réserves doivent être formulées.
Premièrement, il n'existe pas encore de jurisprudence disponible pour faire la lumière sur les interprétations possibles de la nouvelle disposition peu claire (du point de vue du droit des sociétés). Il est à ce sujet important de garder à l’esprit que le nouveau dispositif n’a pas été spécifiquement conçu pour les administrateurs. On pourrait soutenir que l’augmentation de la responsabilité des administrateurs est un dommage collatéral qui est une conséquence presque fortuite de la réforme de la « responsabilité extracontractuelle » mise en œuvre par le législateur. Ce manque de clarté concernant certaines notions peut conduire à une confusion des langues digne de la tour de Babel entre praticiens de différentes branches du droit.
Deuxièmement, cette contribution ne constitue pas une analyse juridico-technique exhaustive, mais se concentre sur l’identification des conséquences pratiques de la nouvelle réglementation pour les administrateurs d'entreprises et d'associations. Les autres « agents d’exécution » ou « auxiliaires » qui sont également (et peut-être principalement) visés par la nouvelle disposition ne sont par ailleurs pas abordés.
Pour finir, pour accroître la lisibilité, cette contribution divisera l’impact pour les administrateurs de la nouvelle disposition en cinq thèmes :
- Que signifie exactement cette nouvelle responsabilité ?
- Quelle est la différence entre cette nouvelle « responsabilité extracontractuelle » et une « erreur ordinaire de gestion » ?
- Tous les administrateurs sont-ils concernés par ces nouvelles dispositions ?
- Quelles erreurs peuvent donner lieu à cette responsabilité ?
- Quelles précautions peut-on prendre ?
Les questions et réponses discutées lors du séminaire sont largement intégrées à ces quatre thèmes. S'il existe certaines (sous)questions qui (n’)ont (pas) encore été (suffisamment) abordées, l’administrateur bien avisé est invité à rappeler cette question par e-mail à info@guberna.be, avec le titre de la contribution comme référence.
Que signifie exactement cette nouvelle responsabilité ?
Tout d’abord, les administrateurs souhaitent comprendre dans quelles circonstances ce nouveau motif de responsabilité les concerne.
Le nouvel article 6:3 du Code civil stipule que les règles en matière de responsabilité extracontractuelle peuvent également et de la même manière s'appliquer aux actions de « l'agent d’exécution » ou de « l’auxiliaire » d'une société ou d'une association, dans le cadre d'une relation contractuelle entre cette société ou association et un tiers.
Pour que ce nouvel article ait des conséquences pertinentes pour les administrateurs, quatre conditions doivent être remplies :
- l'existence d' une relation contractuelle entre la société ou l'association gérée et un tiers
- la société gérée est l'exécutant d'une obligation et le tiers, le client
- le ou les administrateurs de la société gérée peuvent être considérés comme « agent d’exécution – auxiliaire » agissant au nom et pour le compte de la société gérée
- « l’agent d’exécution- l’administrateur » doit pouvoir être mis en cause pour une erreur extracontractuelle
Un exemple frappant présenté lors du séminaire est un contrat de travaux entre les parties A et B, les travaux étant exécutés par C, administrateur de B, qui cause des dommages au bâtiment de A en agissant de manière imprudente.
Ce n'est que dans une telle relation contractuelle triangulaire que le cocontractant lésé A de la société aura le choix entre s’adresser à la société B, se retourner contre « l'agent d’exécution-auxiliaire » C ou attaquer les deux parties.
Visuellement cela peut être représenté comme suit (6)
L'existence de cette relation triangulaire constitue donc la base de cette responsabilité externe envers un tiers contractant de la société-association.
Comment se rapporte l’article 6:3 du Code civil par rapport à la « simple erreur de gestion » ?
Une deuxième question qui préoccupe les administrateurs est de savoir quelle est la différence entre cette « nouvelle » responsabilité et la « responsabilité des administrateurs » connue du droit des sociétés.
Contrairement à la responsabilité « externe » qui peut être invoquée via l'article 6:3 du Code civil, la responsabilité des administrateurs au titre du droit des sociétés est une responsabilité interne entre les organes sociaux. Elle n'affecte que la relation contractuelle du mandat d’administrateur elle-même, entre l'administrateur et la société-association, et ne nécessite donc pas l'existence d'une relation contractuelle avec un tiers.
Cette responsabilité interne est visée par les articles 2:51 CSA et 2:56 CSA, bien connus des administrateurs diligents :
- Article 2:51 CSA : conformément aux bonnes pratiques de gestion, une obligation légale a été instaurée en 2019 pour les administrateurs de remplir correctement leur mandat d'administrateur vis-à-vis de la société-association : « bonne exécution de la mission qui lui a été confiée »
- Article 2:56 CSA : les administrateurs sont contractuellement responsables des erreurs commises dans l'exercice de leurs fonctions, envers la société-association. Il est important que cette responsabilité ne puisse être contrôlée que « marginalement » par les tribunaux (7) , en tenant compte de « l’intérêt de la société (ou de l'association ). Le contrôle marginal signifie que le juge qui statue sur l’existence ou non de l’erreur de gestion doit respecter la marge politique de l’administrateur afin que seules soient prises en compte les erreurs qui se situent « en dehors de la marge » à l’intérieur de laquelle les administrateurs normalement prudents et clairvoyants prennent des décisions.
Ces règles restent pleinement applicables et doivent, le cas échéant, être appréciées séparément.
Cela signifie qu'il est possible que « l’erreur extracontractuelle » commise par « l'agent d'exécution – administrateur » envers le cocontractant-client de la société – association, constitue également une erreur de gestion de la part de « l'agent d'exécution – administrateur » envers la société - association gérée. Dans un tel cas, « l'agent d’exécution- administrateur » serait doublement responsable : (i) envers le cocontractant-client sur la base de l'article 6:3 du Code civil et (ii) également envers la société-association sur la base de l'article 2:56 CSA.
Appliqué à l'exemple ci-dessus, cela signifierait que la mauvaise exécution des travaux par C constitue également une erreur de gestion de la part de C, qui en est tenu responsable par B. B devra alors prouver, dans le cadre de l’application de l'article 2:56 CSA, que l'erreur commise par C ne peut résister à un contrôle marginal du tribunal.
Outre le périmètre différent (responsabilité interne par rapport à responsabilité externe), une deuxième différence importante pour les administrateurs est que l'évaluation des erreurs ne se fait pas de la même manière.
Ainsi, en fonction des faits concrets , il est possible qu'un certain acte ou omission constitue une « erreur extracontractuelle », mais pas une « erreur de gestion ». Les deux motifs de responsabilité ne doivent donc pas nécessairement aller de pair.
Selon le professeur Vananroye, en pratique, c'est l'inverse qui se produirait et les administrateurs commettraient (régulièrement) des actes illégaux « dans l'intérêt de l'entreprise ».
Ils remplissent ainsi correctement leurs fonctions de gestion, même lorsqu'ils peuvent commettre des actes pouvant être qualifiés d'erreurs extracontractuelles :
« Bien entendu, tout manquement de la part de l'entreprise ne constitue pas une erreur de gestion, même si le manquement en question peut être matériellement imputé à l’administrateur concerné. Après tout, il se peut que l'administrateur concerné ait commis la faute dans la relation contractuelle avec le tiers dans l'intérêt de l'entreprise.
Un civiliste peut avoir des difficultés avec le fait qu’un acte illégal n’est pas nécessairement considéré comme illégal dans une relation contractuelle. Cependant, pour un commercialiste, il semble évident qu'un administrateur s'acquitte bien de ses fonctions et qu'il peut néanmoins commettre des actes illégaux. Plus encore : un administrateur qui ne commet pas d’actes illégaux risque de ne pas faire correctement son travail.» (8)
Au cours du séminaire, il a été expliqué qu'il s'agirait de cas d'application de règles juridiques complexes dans une relation contractuelle, au profit de la société gérée, mais auxquels une décision judiciaire ultérieure donnerait une interprétation différente. Concrètement, cela concerne en général des réglementations complexes ou factuelles comme le RGPD, les règles de concurrence ou la législation fiscale. De tels agissements, assimilés « a posteriori » à des violations de la loi, constitueraient alors un acte illicite de la part de « l’auxiliaire-administrateur » mais pourraient plus difficilement être qualifiés de contraires aux intérêts de la société.
C’est évidemment correct juridiquement, mais l'énoncer comme une règle empirique va trop loin ! Il est évident qu’en application des bonnes pratiques de gouvernance, même si la loi laisse une certaine marge d'interprétation, la poursuite de l'intérêt de l'entreprise par un administrateur normal, prudent et clairvoyant ne peut par définition impliquer d'éventuelles violations de la loi.
Quelles erreurs donnent lieu à cette responsabilité ?
La violation d’un contrat par l’entreprise n’est pas automatiquement une erreur, encore moins une erreur de la part des administrateurs.
Ce n'est donc pas parce que le cocontractant - client qui subit un dommage contractuel peut désormais également s'adresser directement à « l’agent d'exécution – auxiliaire » du cocontractant - exécutant qu'il y a aussi automatiquement une « erreur extracontractuelle ».
Contrairement au système français, le législateur n'a pas choisi d'assimiler automatiquement toute erreur contractuelle à un délit, mais il a conservé la distinction entre erreur contractuelle et extracontractuelle.
Le cocontractant lésé de la société-association devra donc prouver que :
- Soit il y a une erreur extracontractuelle de la part de « l’agent d’exécution-auxiliaire », qui peut consister soit en un manquement au devoir général de diligence, soit en une injonction ou interdiction légale.
- Soit il existe un cas de « responsabilité objective », c'est-à-dire une responsabilité sans faute développée par la jurisprudence ou établie par la loi dans les cas où il est considéré comme injuste de faire peser la charge de la preuve sur la victime (des exemples de responsabilités objectives sont les nuisances de voisinage, la responsabilité du fait des produits, la responsabilité en cas d'incendie ou d'explosion, etc.).
L’article 6.6. Code Civil définit l’erreur extracontractuelle comme § 1. La faute (qui) consiste dans un manquement à une règle légale imposant ou interdisant un comportement déterminé ou à la norme générale de prudence qui doit être respectée dans les rapports sociaux. § 2. La norme générale de prudence impose d’adopter un comportement conforme à celui qu’aurait adopté une personne prudente et raisonnable placée dans les mêmes circonstances.
À cet effet, peuvent notamment être pris en considération :
1. les conséquences raisonnablement prévisibles du comportement ;
2. la proportionnalité entre le risque de survenance du dommage, sa nature et son étendue, et les efforts et mesures nécessaires pour l'éviter ;
3. l'état des techniques et des connaissances scientifiques ;
4. les règles de l’art et les bonnes pratiques professionnelles ;
5. les principes de bonne administration et de bonne organisation.
La question qui se pose est de savoir comment cette définition va s’appliquer dans la pratique juridique ? Quelles actions seront considérées comme fautives si l’on s’adresse à « l’auxiliaire-administrateur », sachant que ce sera souvent dans des situations de discontinuité ?
Dans quelle mesure verra-t-on la notion d’erreur extracontractuelle ou de « délit » évoluer pour refléter le contexte contractuel dans lequel elle se produit ?
Dans de nombreuses situations pratiques, il existe un risque que le manquement contractuel soit considéré/jugé comme un comportement imprudent en soi, par analogie avec une jurisprudence plus ancienne selon laquelle le non-respect par un professionnel d'un contrat constitue automatiquement une erreur extracontractuelle.
Il appartiendra aux praticiens du droit de continuer à veiller à cette distinction stricte, surtout lorsqu'il s'agit d’administrateurs.
Est-ce que tous les administrateurs sont concernés dans toutes leurs fonctions par cette nouvelle disposition ?
Nous avons examiné trois des quatre conditions qui doivent être remplies pour que l'article 6.3. Code Civil soit pertinent dans le cadre d’un mandat d’administrateur.
Mais qu’en est-il de la quatrième condition ? Le ou les administrateurs de la société gérée doivent être considérés comme « agent d’exécution – auxiliaire » agissant au nom et pour le compte de la société gérée. Est-ce toujours le cas, pour chaque administrateur ?
La plupart des « civilistes » supposent simplement (9) que les organes administratifs des sociétés-associations sont effectivement concernés par le nouvel article 6:3 du Code civil et n'ont pas encore mené une réflexion approfondie sur les divergences possibles entre le concept « d’agent d’exécution » et la nature et le rôle des organes d’administration.
À notre connaissance, les « commercialistes » n’ont pas encore donné leur avis en détail à ce sujet depuis la nouvelle loi (10).
Comparons les deux concepts.
En effet, les jugements au fil des années ont défini la notion « d’agent d'exécution » comme toute personne physique ou morale engagée dans une cascade de contrats pour exécuter les obligations contractuelles. Le nouveau terme « auxiliaire » utilisé par le législateur est également décrit par l'article 6.3. § 2 du Code civil lui-même comme « la personne qui coopère à l'exécution des obligations de son propre cocontractant ». Les travaux préparatoires adhèrent également à cette définition en se référant à la jurisprudence de cassation antérieure (11).
Dans le cadre de notre exemple de marché de travaux, la situation est simple. C est la personne qui coopère à l'exécution des obligations de B et peut donc sans aucun doute être considérée comme « l’auxiliaire » de B. L’administrateur de B est donc certainement un « agent d'exécution - auxiliaire »
Mais est-ce une situation (de bonne gouvernance) habituelle ?
Comment appliquer pareille situation à l'organe administratif traditionnel d’une SA (ou, par analogie, d’une asbl) qui, conformément à l'article 7:85 du CSA, est un organe de décision collégial et, selon les bonnes pratiques de gestion, est responsable de la création de valeur durable par la société, non pas par l’exécution opérationnelle mais par la détermination de la stratégie de la société, l'établissement d’un leadership efficace, responsable et éthique et le contrôle des performances de la société. (12)
Bien entendu, le conseil d'administration dispose également de pouvoirs exécutifs et représentatifs, qu'il peut déléguer à un ou plusieurs administrateurs conformément à l'article 7:93 § 2 CSA, mais il ne s'agit là que d'une partie limitée de ses fonctions. En règle générale et conformément aux bonnes pratiques de gestion, les tâches exécutives sont confiées aux personnes chargées de la direction ou de la gestion journalière.
Dès lors, compte tenu de la nature de l'organe administratif collégial, peut-on identifier ses membres, sauf situations particulières, avec des auxiliaires qui contribuent à l'exécution des obligations de la société-association ?
Et est-ce le cas pour tous les actes posés par les membres de cet organe, même s’ils ne réalisent aucune action concrète d’exécution opérationnelles, mais se « limitent » à accomplir leur mission de supervision et de formulation de stratégie ?
Et si la réponse était positive, comment le « superviseur » peut-il être un « auxiliaire » (ou un « agent d’exécution ») ? Quels types d’actes illicites pourrait-il commettre en pratique ?
Tant que « l’agent d’exécution » jouissait d’une quasi-immunité, il n’était pas très productif pour les administrateurs de remettre en question cette capacité. Puisque la quasi-immunité n’offre plus de protection, il vaut certainement la peine de rechercher si les deux rôles peuvent coïncider/coïncident.
Une réponse négative à cette question peut notamment présenter deux avantages :
- Dans le meilleur des cas, la base juridique de la responsabilité extracontractuelle devient caduque s'il peut être soutenu que l’administrateur n'est pas un « agent d’exécution ou auxiliaire ».
- De manière subsidiaire, on peut distinguer les qualités : d'une part, les actions de l'administrateur en tant qu'administrateur « surveillant » - non exécutif, pour lesquelles il est lié par les restrictions d’exonération du CSA et les actions exécutives de la même personne, qui agit alors sur la base d'une prestation de services indépendante du mandat d'administrateur, pour laquelle la loi ne fait pas obstacle aux limitations de responsabilité.
Cela fera encore couler beaucoup d’encre, mais pour éviter que les administrateurs ne soient victimes d'incertitudes juridiques - aussi fascinantes soient-elles pour les juristes - il convient, comme l'a souligné le séminaire GUBERNA, de mettre en œuvre de bonnes pratiques de gestion, avec une séparation claire des pouvoirs entre les organes, exécutifs et non exécutifs.
Quelles précautions peut-on prendre ?
Une question fréquemment posée concerne les possibilités offertes aux membres des organes d’administration « agent d’exécution-personne morale » de se protéger contre cette responsabilité supplémentaire, envers les parties contractantes de la société-association, pour d'éventuels dommages contractuels.
Lors du séminaire GUBERNA, cela a été schématisé comme suit :
Il n'est pas prévu de discuter en détail de la protection existante contre les erreurs de gestion traditionnelles, mais il est important de souligner que celle-ci reste inchangée. Les règles y afférentes n’impactent pas la nouvelle règle de responsabilité extracontractuelle à l'égard du cocontractant de la société-association.
Il s’ensuit que la limitation quantitative de responsabilité dans le cadre de la responsabilité des administrateurs au titre du droit des sociétés (article 2:57 CSA) ne peut pas être appliquée dans le contexte de la responsabilité extracontractuelle de l'article 6:3 du Code civil.
De même, la décharge donnée par l'assemblée générale de la société-association ne peut être opposée au cocontractant de la société-association...
L'état actuel de la doctrine suppose également que l'interdiction d’exonération contenue à l'article 2:58 CSA s'oppose à ce que les administrateurs soient exonérés de la responsabilité extracontractuelle soit dans les statuts, soit dans un contrat de gestion.
Ceci est basé sur le libellé littéral de cet article, qui stipule :
« La responsabilité d'un membre d'un organe d'administration ou délégué à la gestion journalière ne peut être limitée au-delà de ce qui est prévu à l'article 2 :57. La personne morale, ses filiales ou les entités qu'elle contrôle ne peuvent exonérer ou garantir par avance les personnes mentionnées au premier alinéa de leur responsabilité envers la [ 1 personne morale] 1 ou envers les tiers. Toute disposition des statuts, d’un accord ou d’une expression de volonté unilatérale contraire aux dispositions du présent article sera réputée non écrite. »
Une clause dans les statuts ou dans un contrat de gestion en vertu de laquelle la société-association gérée soit libère l’administrateur de la responsabilité extracontractuelle de l'article 6.3 du Code civil, soit l'indemnise de manière proactive pour cela, serait considérée comme inexistante. Les règles du CSA sont en effet des règles impératives (alors que l'article 6.3 du Code civil constitue du droit supplétif).
Cela ne s'applique évidemment qu'aux actes posés en tant qu’administrateur/membre de l'organe administratif ou délégué à la gestion journalière. Comme indiqué ci-dessus, une distinction bien documentée entre le rôle d’administration et les autres fonctions exécutives pourrait ici apporter un certain soulagement.
Ce qui offre encore plus de sécurité juridique est le fait d’insérer des clauses d’exonération dans les contrats entre la société-association gérée et le cocontractant. Celles-ci peuvent cibler directement les « auxiliaires » : le contrat principal peut prévoir que le créancier contractuel renonce à ses créances extracontractuelles à l'égard des agents d'exécution.
Toutes les clauses générales d'exonération du contrat principal peuvent également être invoquées par l’administrateur conformément à l'article 6:5 § 2 du Code civil si le tiers s’adresse à lui de manière extracontractuelle. Si le cocontractant-client s'adresse à un « auxiliaire », celui-ci peut invoquer tous les moyens de défense découlant du contrat principal, tels que les délais d'expiration ou les délais de prescription raccourcis.
Conclusion : bonne gouvernance par rapport à « agent d'exécution » ?
Comme nous l'avons mentionné, nous n'en sommes qu'au début. Même s'il n'y a aucune raison de faire trembler le monde des administrateurs, beaucoup de discussions seront sans doute encore menées avant d'avoir suffisamment de certitude quant à la jurisprudence qui se développera sur la base de la nouvelle disposition.
Un bon administrateur voudra éviter de servir de chair à canon, même si c'est pour alimenter des débats juridiques intéressants !
Pour soutenir l’administrateur dans cette démarche, nous résumons deux enseignements importants :
- L'impact des nouvelles dispositions pour les administrateurs ne doit pas être exagéré, mais elles seront bel et bien invoquées dans des cas précis.
La plupart des réclamations seront vraisemblablement formulées sur base d'actes exécutifs et opérationnels et en cas de faillite de la société-association gérée. Parce que si la société est en mesure de payer, il n’y a aucune raison de s’adresser aux administrateurs. Ce n’est que lorsque la contrepartie principale ne pourra plus payer qu’on commencera à s’en prendre aux administrateurs. Les administrateurs des structures présentant un risque de discontinuité doivent donc être doublement attentifs.
S'adresser aux administrateurs peut également avoir pour but d'accroître la pression pour parvenir à un règlement (plus) rapide. Cela peut se produire lors de négociations avec la société ou dans le cadre de relations avec des créanciers (importants) tels que les banques. Une lettre véhémente adressée à l'ensemble du conseil d'administration peut vous donner un coup de pouce supplémentaire pour réaliser ce que vous souhaitez. Lors de négociations, il peut être utile d’exclure à l’avance de telles « tactiques ».
Pour finir, il peut aussi s’agir d’une « pêche aux informations » pour obtenir des informations via « l’auxiliaire-administrateur » concerné.
Si vous approchez quelqu'un et qu'il commence à se défendre, cela peut fournir des informations avec lesquelles vous pourrez ensuite vous adresser à la société elle-même.
Un exemple frappant cité lors du séminaire est celui des juristes d’entreprise qui fournissent des conseils confidentiels, qui peuvent constituer des informations intéressantes pour étayer une plainte contre la société elle-même. Une situation similaire pourrait se produire à l'égard des administrateurs, qui échangent également des informations confidentielles avec la société. Des accords peuvent être conclus entre la société-association gérée et les administrateurs concernant les modalités et l'étendue du partage d'informations, sans bien entendu mettre en péril les droits de défense des administrateurs.
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Un administrateur normal, raisonnable et prudent limitera également au maximum ce nouveau risque.
Même s’il n’y a aucune raison de paniquer, il faut agir maintenant et prendre des précautions :
- Prévoyez les clauses contractuelles nécessaires, y compris dans les contrats en cours lorsque cela est possible (voir ci-dessus)
- Vérifiez bien les polices d’assurance (vos actions en tant que « agent d’exécution – auxiliaire » sont-elles couvertes ?)
- Si nécessaire, apportez plus de clarté dans la gouvernance de la société-association, prévoyez une division claire des fonctions exécutives et non exécutives en tant qu'administrateur par rapport à celle de prestataire de services indépendant et étendez cela à la formulation des contrats et des procès-verbaux des décisions prises par les organes administratifs.