Le dépassement planétaire doit être stoppé, y compris dans les conseils d’administration

Karen, pouvez-vous commencer par nous parler un peu plus de vous ?

Je suis une personne curieuse qui aime apprendre et comprendre le fonctionnement des individus et des sociétés. Dans ma jeunesse, j'ai vécu en France et aux Etats-Unis. J'ai terminé mes études aux États-Unis et j'ai apprécié le fait de pouvoir étudier le commerce tout en suivant des cours à l'université d'arts libéraux. Je me suis spécialisée en comptabilité. J'aimais la logique et le fait qu'avec les chiffres, je pouvais avoir une vision globale d'une entreprise.

Quand avez-vous commencé à changer votre façon de penser ?

Il y a quelques années, je suis devenue membre du conseil d'administration de Wervel, cette organisation belge à but non lucratif qui est pionnière dans la réflexion sur l'agriculture et les systèmes alimentaires viables. Comme beaucoup de personnes, j'ai été très influencée par son fondateur Luk Vankrunkelsven, décédé en septembre mais qui a laissé un immense héritage.

Un nouveau monde s'est ouvert à moi. J'ai suivi des cours, des webinaires et lu le rapport du GIEC. J’ai également été influencée par les inondations qui ont eu lieu dans le sud de la Belgique à l’été 2021.

Je suis devenue une nouvelle personne et j'ai vraiment ressenti la fragilité de notre planète. J'ai assisté à des événements d'affaires et j'ai senti que l'aspect scientifique n'était pas intégré dans ces forums. Beaucoup d’entre nous savent que la crise climatique entraînera de profonds changements. L’année 2023 est en passe d’être la troisième année la plus chaude jamais enregistrée en Belgique. Nous assistons à des vagues de chaleur, des inondations, des ouragans, etc…

Outre Wervel, avez-vous d'autres mandats au sein de conseils d'administration ?

Oui, je suis membre du conseil d'administration de la Compagnie du Bois Sauvage, une société holding belge. Je suis heureuse d'avoir entamé cette nouvelle étape de ma carrière.

Selon vous, quelle est votre valeur ajoutée spécifique au sein d’un conseil d’administration ?

J'ai occupé des postes de direction dans de nombreuses entreprises très bien gérées. De plus, grâce à ma solide expertise financière, je peux faire la lumière sur les résultats et sur la manière dont ils peuvent être communiqués (au monde extérieur). En outre, les connaissances en matière de développement durable que j'ai acquises sont extrêmement utiles aux entreprises qui s'attaquent à ces questions.

Passons maintenant à votre compétence principale. La durabilité reçoit-elle suffisamment d’attention dans les conseils d’administration ?

Non, je ne pense pas que ce soit le cas. Comme beaucoup d’hommes d’affaires, j’ai été formé aux concepts économiques tels que la croissance, le profit et le rendement pour les actionnaires. Les frontières planétaires ou le développement durable en tant que « développement qui répond aux besoins du présent sans compromettre la capacité des générations futures à répondre aux leurs » (tel que défini dans le rapport Brundtland de 1987 « Our Common Future ») ne faisaient pas partie de mes études à l'époque.

Mais les temps ont changé, nous prenons conscience que les pays industrialisés vivent au-dessus de leurs moyens. Un dépassement planétaire entraînera de nombreuses crises à l’avenir.

Karen, avec toute cette tristesse, comment faites-vous pour rester positive ?

J'avoue que c'est parfois difficile. Début décembre, j'ai marché à Bruxelles dans le cadre de la Marche pour le Climat par un dimanche froid et gris. J'ai vu beaucoup de gens sérieux et solennels qui prenaient cette marche à cœur. D’autres ont une autre façon d’exprimer leurs émotions en chantant. Le développement d’une communauté est donc pour moi un antidote important.

J'ai senti qu'il était nécessaire d'aborder ces sujets au sein du réseau des administrateurs (certifiés) GUBERNA. Au début, j'ai contacté les administrateurs GUBERNA intéressés par le développement durable et nous avons formé un comité de 11 personnes. Nicolas Coomans, chercheur associé chez GUBERNA en est également membre. Nous nous sommes rencontrés à plusieurs reprises au cours de la dernière année.

Ce comité a organisé un événement interactif en novembre dernier. Quel était le but et comment ce nouveau concept a-t-il été accueilli par la communauté des administrateurs GUBERNA ?

Je rêvais de créer un événement interactif où les membres du conseil d'administration pourraient partager leur expertise au sein du réseau. Grâce à notre « Sounding Board Committee », nous avons préparé deux analyses de cas avec des défis en matière de développement durable que les participants peuvent aborder comme s'ils faisaient partie du conseil d'administration des entreprises présentées dans les cas. Les participants ont travaillé en petits groupes et ont ensuite partagé leurs apprentissages avec le grand groupe. Nicolas a ensuite résumé les apprentissages.

Nous avons reçu des tonnes de commentaires positifs de la part des participants concernant le contenu et les opportunités de réseautage. En effet, cet événement GUBERNA a atteint le taux de satisfaction le plus élevé en 2023 ! Vous pouvez lire le résumé de l'événement sur le site de GUBERNA.

La crise climatique et les polycrises qui en résultent sont des sujets en pleine expansion. Nous sommes face à un nouveau monde qui nécessite un changement radical de mentalité. Il reste encore beaucoup à apprendre, également au niveau du conseil d'administration. De tels événements interactifs sont incroyablement utiles. Nous avons hâte de les poursuivre.

Sur LinkedIn, j'ai découvert que vous aviez également fondé votre propre entreprise.
Quel est le but de votre entreprise GoAct ?

GoAct

signifie « Governance in Action » : nous organisons des séances de sensibilisation et d'éducation auprès des membres du conseil d'administration et des dirigeants pour les aider à se lancer dans leur parcours de développement durable. En tant que membres du conseil d’administration, nous avons l’obligation de relever le défi politique, sociétal et technique sans précédent auquel nos entreprises seront confrontées. Il faut appliquer une optique climatique à chaque décision proposée par le conseil d’administration.

Les entreprises se lancent également dans un processus de conformité à la directive sur les rapports de développement durable. Mais nous savons que le reporting ne suffira pas à véritablement transformer une entreprise. Le contexte dans lequel évolue l’entreprise et la diminution des ressources (matières premières, eau, …) n’est souvent pas abordé.

Je crois que les conseils d’administration des entreprises, dans le cadre de leur mandat de gouvernance, doivent s’en charger.

Quel regard portez-vous sur les programmes éducatifs de GUBERNA ?

Le programme m'a donné confiance et apporté une compréhension sur la façon dont je pouvais convertir ma longue expérience en tant que cadre en fonction des responsabilités et des attentes d'un membre d'un conseil d'administration. L’aspect réseautage a également été très bénéfique et certains échanges au sein du réseau ont abouti à des opportunités d’affaires.

Alors que nous arrivons à la fin de l’entretien, nous aimerions vous laisser le dernier mot.

Je pense que nous avons besoin d’un leadership plus audacieux pour faire face à la crise climatique. J’appelle tous les auditeurs à apprécier tous les êtres vivants et notre planète. Il est maintenant temps d'agir en tant qu'individus, en tant qu’administrateurs, nous devons être un acteur de changement, nous savons quel est le problème, les solutions sont nombreuses, il y aura des opportunités, en travaillant ensemble, nous pouvons créer un monde meilleur. C'est maintenant que cela se passe.

Merci beaucoup, Karen. Il s’agit d’un appel clair à l’action pour nous tous. Nous sommes convaincus que chacun d’entre vous commence à réfléchir à la manière dont nous pouvons sauver notre planète.