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Entretien avec Brieuc Van Damme CEO de la Fondation Roi Baudouin

 

GUBERNA se prépare pour le prochain Director's Day, qui aura lieu le 2 octobre prochain. Nous avons opté pour une question de gouvernance d'actualité et passionnante autour de la création de valeur durable qui peut intéresser à la fois les administrateurs du secteur à but social et marchand.

  • Comment les organisations à but social peuvent-elles inspirer les entreprises traditionelles à réaliser davantage d'impact social ou environnemental ?
  • Comment les entreprises peuvent-elles inspirer les organisations à but social grâce à leur approche et leur méthodologie ESG ?

En préparation de notre événement, Brieuc Van Damme était invité dans notre studio. En mai 2022, celui qui était alors directeur général de la Santé auprès de l’INAMI est devenu le CEO de la Fondation Roi Baudouin (FRB). En tant que fondation indépendante et pluraliste d'utilité publique, la FRB œuvre depuis plus de quarante ans pour une société meilleure.

Monsieur Van Damme est bien placé pour discuter des questions ci-dessus car la FRB est en contact quotidien avec de nombreuses organisations à profit social. D'autre part, la FRB assure le cadre structurel ou la gestion des nombreux programmes philanthropiques des entreprises belges.

Au nom du GUBERNA Centre de Gouvernance Social, Ewout Görtz s'est enquis de sa vision et de ses expériences concernant les thèmes qui seront à l'ordre du jour en octobre. Cet entretien est également disponible sous forme de vidéo et de podcast.

Axé sur la mission

Qu'est-ce que la FRB en substance ?

« A la FRB, nous essayons d'aider les gens qui veulent aider les autres » résume-t-il de manière concise la mission de l'organisation. « Nous sommes actifs dans les domaines du climat, de la diversité, de la réduction de la pauvreté, de l'éducation et d'autres objectifs sociaux. Les initiateurs peuvent ouvrir un fonds chez nous et nous les aidons à obtenir un impact maximal. De plus, nous avons aussi nos propres ressources pour objectiver certains problèmes ou défis et créer un effet de levier pour les fonds qui viennent de la part des philanthropes. »

La FRB est également une sorte de laboratoire d'innovation sociale qui touche les politiques et les décideurs. « Grâce à notre travail et à nos publications, nous pouvons aussi stimuler le débat social. »

Organisation administrative

La FRB est une fondation d'utilité publique. A quoi ressemble votre gouvernance ?

« Contrairement à la croyance populaire, nous n'avons aucun lien avec le gouvernement ou le secteur public. Bien sûr, notre objectif est très public et fortement axé sur l'intérêt public.

Mais pour pouvoir concilier de manière crédible notre indépendance fondamentale avec l'intérêt général, notre gouvernance doit également être étanche. Nous ne devons jamais donner l'impression que nous favorisons certaines personnes ou organisations. »

Au niveau de la FRB, le conseil d'administration est composé d'un maximum de quatorze administrateurs. Ce sont des personnes issues des grandes entreprises et des PME, de la société civile et des syndicats. « Avec ce pluralisme et cette diversité, nous interprétons plus ou moins les différentes grandes tendances de notre société. Nous avons aussi un administrateur germanophone et il existe une parité entre francophones et néerlandophones. »

A cela s'ajoute le niveau de financement des projets. « Nous travaillons chaque année avec plus de 5 000 experts non rémunérés ou membres de jury dans divers comités. Ces comités comptent toujours trois catégories de membres. Il y a au moins un expert indépendant : un professeur, un haut fonctionnaire ou un entrepreneur de haut niveau qui a fait ses preuves dans ce domaine spécifique. De plus, un représentant du philanthrope est présent et peut interpréter au mieux ce que ce dernier avait en tête pour la société. Enfin un représentant de la fondation elle-même fait partie de ces comités. Selon le nombre de ressources disponibles ou la complexité, ce comité de gestion peut s’agrandir. Chaque comité décide par consensus de participer ou de financer une proposition de projet. Le comité décide également qui fera partie du jury indépendant s'il doit être composé. »

Brieuc Van Damme

Une fondation n'a pas d'assemblée générale avec des membres ou des actionnaires. Comment la fonction de contrôle - qui relève normalement d'une assemblée générale - est-elle organisée auprès de la FRB ?

« En effet, nous n'avons ni membres ni actionnaires et donc pas d'assemblée générale. D'où l'importance du pluralisme et de la diversité au sein du conseil. Une partie des décisions est décentralisée au niveau de ces milliers de commissions. En outre, un certain nombre de comités ont été mis en place pour suivre la stratégie de la fondation, contrôler la comptabilité et vérifier si les ressources sont correctement investies. Nous avons un comité d'audit, un comité de rémunération et un conseil consultatif. Ce dernier doit façonner la stratégie générale de la fondation et apporter une contribution que le conseil d'administration peut ensuite entériner.

Mais on ne peut pas vraiment appeler cette approche de prise de décision décentralisée une fonction de contrôle : »

« Nous sommes en train de revoir les choses et je ne peux pas vous cacher que nous nous interrogeons sur le rôle que pourrait jouer aujourd'hui notre conseil consultatif. L'un des problèmes de la zone grise auquel nous sommes souvent confrontés est, par exemple, la fiscalité. Qu'est-ce qui est ou n'est pas éligible à la déductibilité fiscale ? Il existe des règles claires à ce niveau, mais il y a toujours des éléments qui ne sont pas univoques. Un autre exemple est notre présence géopolitique. Nous avons des bureaux partout dans le monde. Par exemple, nous travaillons aussi beaucoup avec la Chine par le biais de notre partenaire Give2Asia. Comment devons-nous alors nous positionner ? Ce sont des questions sur lesquelles il n'y a aucun contrôle en dehors du conseil d'administration lui-même. Ne devrions-nous pas les intégrer quelque part dans un organe consultatif ? »

Quels sont les avantages structurels d'une fondation par rapport à une association à but non lucratif ?

« En tant que personne qui a travaillé pour le gouvernement pendant un certain temps, je pense qu'une fondation comme la nôtre rassemble le meilleur des secteurs public et privé :

Nous avons un objectif social clair en tête et nous voulons servir au mieux l'intérêt public. En même temps, nous sommes un acteur du changement pour aider à pousser les choses dans une certaine direction. Nous discutons ici de la souplesse et l'agilité d'une entreprise privée qui, de surcroît, n'a pas à tenir compte de ses actionnaires ou de ses membres. Ce statut séparé nous pousse également à décentraliser beaucoup de décisions afin d'obtenir une répartition du contrôle. Dans 90% des cas, les décisions financières sur les projets – et on parle de près de 200 millions d'euros par an – sont décentralisées par des comités d'experts indépendants. D'autre part, le rôle stratégique global et le haut niveau de contrôle du conseil d'administration motivent les gens à en faire partie et à contribuer ainsi aux nombreux besoins sociaux importants. Je ne sais pas si une organisation à but non lucratif pourrait également fonctionner de cette manière.

Impact social

Aujourd'hui, l'impact est très actuel et essentiel dans le débat social et économique. Comment définiriez-vous l'impact social pour une organisation comme la FRB ?

« Je me suis posé cette question complexe quand j'ai commencé à travailler ici. Comment mesurer l'impact dans cette fondation complexe qui touche plusieurs centaines de milliers d'individus par an, finance plusieurs milliers de projets et crée elle-même des centaines de projets ? Il est impossible et peut-être même indésirable de ne proposer qu'un seul indicateur d'impact. La croissance de notre capital ou le nombre de prêts est par exemple une référence. Mais cela ne dit rien sur notre impact social potentiel ou réel.

Mais la responsabilité envers les parties prenantes et les citoyens est également importante. On peut donc essayer de mesurer notre impact au cas par cas de manière qualitative ou quantitative. Par exemple, nous avons un philanthrope qui ne souhaite investir que dans des refuges flamands pour les jeunes vulnérables. Pourquoi ? Parce qu'alors il peut dire « Avec mes X millions j'ai créé Y refuges cette année ».

Notre pouvoir d'accorder une déductibilité fiscale à certains organismes sans but lucratif ou à certains fonds qui coopéreraient avec nous nous impose une responsabilité sociale particulièrement importante. Parce que le citoyen contribuable nous a en fait confié ce mandat fiscal. Cela signifie que nous devrons être beaucoup plus ambitieux en termes d'impact et de changement social souhaité.

Mais nous n'en sommes pas encore là. Je pense que nous avons peut-être placé la barre un peu trop bas par le passé. Beaucoup de choses se passent déjà aujourd'hui en ce qui concerne la mesure de l'impact et l'évaluation, mais nous devons intégrer cela davantage dans nos opérations. Nous devons aussi avoir l'ambition de relever la barre et de communiquer davantage sur notre impact.

 

Existe-t-il aussi quelque part une forme de rapport ou rapportage agrégé, au niveau du conseil d'administration ?

Oui, nous essayons de faire cela. Mais plus on agrège, plus il y a de finesses et de subtilités, par définition. Combien d'argent dépensons-nous par an ? C'est un paramètre pour voir si on peut effectivement aider plus de gens et donc avoir un plus grand impact ou pas. Combien de personnes pouvons-nous atteindre chaque année grâce à notre soutien ? Il y en a près d'un million dans le monde. Si ce nombre continue d'augmenter, c'est bien sûr un indicateur certain d'un plus grand impact social. Mais nous ne pourrons jamais prétendre précisément que nous avons contribué à économiser l'équivalent de 10 milliards d'euros de charges sociales, par exemple.

Selon vous, une bonne gouvernance pourrait-elle jouer un rôle pour soutenir ou renforcer l'impact de vos activités, tant en interne qu'en externe ?

« Pour moi, la gouvernance est essentielle pour pouvoir mettre en œuvre un impact et un changement. J'ai tendance à me concentrer assez fortement sur les bons processus de décision. Qui prend quelles décisions, de quelle manière et sur la base de quels arguments ? Je pense qu'ici en Belgique, nous ne prêtons pas encore assez attention à ces facteurs de succès. Des structures sont également nécessaires pour conduire à de meilleures décisions et à un impact positif maximal, et non pour compliquer les choses pour les gens. Sans de bonnes structures formelles ou informelles, il est très difficile de prendre des décisions optimales.

Une de mes grandes inquiétudes aujourd'hui serait que la polarisation politique de notre société rende vraiment difficile le dialogue entre différents groupes, l’écoute de différents points de vue et l’utilisation de cette intelligence collective permettant de prendre les meilleures décisions pour les citoyens. Si nous arrêtons de discuter les uns avec les autres et restons coincés dans notre idée d’avoir raison, les bonnes décisions ne sont plus possibles. Une telle chose est bien sûr mortelle pour une société aussi ouverte sur le monde qu'est la nôtre.

La même logique s'applique finalement aux organisations à but non lucratif et aux organisations. Finalement, ce sont de petites entreprises qui ont un certain objectif en tête, qui veulent obtenir un certain impact avec l'argent des autres et qui sont donc soumises à la même logique. »

Secteur marchand et à but social

Il existe une tendance à mesurer davantage le fonctionnement des organisations à but social par rapport aux critères, opportunités et points d'attention d'un contexte de profit. D'autre part, il y a une possibilité d'incorporer l'ADN des organisations à but social dans un contexte de profit. Que pensez-vous de cet exercice inversé ?

« Je suis un peu agacé par cette boutade comparative : « Si c'était une entreprise alors… ».

Ce n'est pas parce qu’il ne s’agit pas d’une entreprise 'classique' que cela ne peut pas et ne doit pas fonctionner de la même manière !

Bien sûr, cela ne signifie pas qu'une organisation à but social ne peut pas adopter les bonnes pratiques qui existent dans une entreprise à but lucratif. Par exemple, en termes de ressources humaines et de rémunération, le secteur à but social est soumis à la même dynamique de marché que tous les autres secteurs, en particulier dans un marché du travail en contraction. Ce qui suit s'applique à tout le monde : « Si on veut attirer les meilleurs, il faut les rémunérer par le biais d’un salaire compétitif ».

Mais je pense que les organisations à but lucratif peuvent aussi apprendre du secteur à profit social. Par exemple, autour d'une finalité sociale plus large ou ESG. Les entreprises ont déjà une assemblée générale des actionnaires, mais l'idée d'une sorte de réunion qui réunirait toutes les parties prenantes, par exemple, pourrait également être intéressante pour certaines entreprises. Le secteur à but lucratif pourrait peut-être encore plus intégrer l'idée d'une large concertation, la prise de conscience que l’empreinte sociale s'étend au-delà de son secteur ou l'idée qu'une entreprise a une fonction générale d'exemplarité. »

 

Comment percevez-vous la distinction entre secteur marchand et non-marchand et les éventuels enrichissements mutuels ?

Je pense que c'est une bonne chose que la distinction devienne moins claire et moins binaire. On se rend de plus en plus compte que l'impact n'exclut pas la rentabilité. On peut être très rentable et en même temps réaliser une valeur ajoutée sociale très importante avec de l’impact. Bien sûr, nous devons rester vigilants à ce niveau pour le but social indu ou le greenwashing. Mais je pense que la tendance générale vers une certaine convergence est une bonne chose.

 

Il y a des années, avec notregouvernance.be, la FRB a développé un outil afin optimiser davantage la bonne gouvernance dans les organisations à but social. Quel est l'état actuel des choses à ce niveau ?

Nous constatons que l'intérêt continue même d'augmenter légérement, mais nous estimons qu'il est nécessaire de mettre cela à jour en fonction des dernières informations. Nous le ferons l'année prochaine et nous espérons bien sûr pouvoir à nouveau faire appel à l'expertise de GUBERNA.

On remarque aussi que de nombreuses organisations à but social se posent de plus en plus de questions sur leur impact. Il s'agit aussi de la synthèse entre une bonne concertation et une forte culture managériale d'une part et l'autonomie nécessaire pour réaliser leurs objectifs sociaux d'autre part …

GUBERNA Director's Day

GUBERNA Director's Day 2023

Vous souhaitez en savoir plus ? Les thèmes de cet échange de vues ouvert seront largement restitués et de manière détaillée à l'occassion de notre Director's Day le 2 octobre. Attendez-vous à un enrichissement mutuel entre secteur marchand et secteur à but social et à de nouvelles perspectives sur le rôle de la ‘raison d'être’ et du profit, l'importance du dialogue avec les parties prenantes, la relation entre impact et croissance et la confirmation que la bonne gouvernance a aussi un rôle à jouer à ce niveau.