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  • Diversity & Inclusion
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La Journée internationale de la femme, le 8 mars, offre chaque année à GUBERNA une excellente occasion de mettre les femmes administratrices à l'honneur. Cette fois, cependant, nous reportons notre attention sur la diversité des genres au sein de l'instance dirigeante vers le leadership féminin (à savoir les CEO) et plus spécifiquement la succession féminine dans l'entreprise familiale. 

Les femmes CEO ont-elles le vent en poupe ? L'influence de la relation père-fille dans un processus de succession est-elle différente de la relation mère-fille ? Comment les filles gagnent-elles en crédibilité et en légitimité ? Découvrez aussi les 5 conseils que les filles donnent aux filles ! 

Encore trop peu de femmes au sommet 

Des femmes aux postes de direction, elles existent : Ilham Kadri, Michèle Sioen, Françoise Chombar, Rika Coppens, An Steegen, Anouk Lagae, Hilde Laga, Conny Vandendriessche, etc. Mais la liste reste restreinte, trop restreinte. 

Malgré les nombreuses initiatives, les femmes sont encore sous-représentées aux postes de direction. En 2022, McKinsey fait état d'un chiffre tristement bas de 1 sur 4 dans la ' C-suite' au sein des entreprises américaines. La situation n'est pas différente près de chez nous. 19% de femmes font partie du management exécutif des sociétés de l'indice 'STOXX Europe 600', pour les sociétés cotées belges ce pourcentage est d'environ 14%. Si l'on se focalise sur le poste de CEO, il apparaît que seulement 7% des entreprises interrogées en Europe sont dirigées par une femme CEO. En Belgique, on compte actuellement 3 femmes CEO parmi les sociétés cotées. Quelle que soit la façon dont vous considérez la chose, la nomination d'une femme CEO est toujours qualifiée de « choix de succession non traditionnel ». 

Pourtant, il y a une lueur d'espoir et on la retrouve dans les entreprises familiales. Par exemple, les rapports d'EY PWC et de KPMG montrent que les équipes de direction des entreprises familiales sont plus féminines que dans les autres entreprises. Dans le monde, il y a en moyenne 18 % de femmes leaders. Il s’avère également qu'un membre féminin de la famille est aujourd'hui beaucoup plus éligible à la relève d'entreprise que par le passé. Cette tendance se poursuivra encore plus à l'avenir. 

 

Les obstacles ont été identifiés 

Les raisons expliquant le déséquilibre au sommet ont déjà fait couler beaucoup d'encre. Les seuils sont nombreux et désormais bien connus. Après tout, qui n'a pas entendu parler du « plafond de verre » ou « du tuyau percé » ? Des métaphores qui en disent long et qui dépeignent la difficile ascension des femmes vers le sommet. 

La littérature académique offre deux explications largement acceptées pour le manque de femmes CEO. Tout d'abord, on parle de « reproduction homosociale ». Ce phénomène décrit la tendance des individus à s'entourer de personnes qui partagent des profils démographiques, des perspectives et des valeurs similaires. Les cadres en place, qui sont généralement des hommes, préfèrent traditionnellement des successeurs du même âge, ayant la même formation, la même expérience et étant du même sexe. 

De plus, la recherche confirme depuis de nombreuses années la prédominance des normes masculines et des stéréotypes de genre dans le management et le leadership. Les hommes se voient attribuer des traits tels que courageux, confiant, affirmé, ambitieux, indépendant, dominant et compétitif. Et ce sont précisément ces qualités qui sont liées à un leadership réussi. Les attributs associés aux femmes (et à la féminité) - tels que l'empathie, la sensibilité, la loyauté et la bienveillance - ne correspondent pas aux attributs typiques du leadership. Les femmes ne correspondent pas à cet idéal masculin de CEO et sont perçues comme « inadaptées » et incompétentes. 

Avec ces informations en main, la question se pose : qu'est-ce qui rend les entreprises familiales si différentes ? 

 

La femme CEO au sein de l'entreprise familiale 

L'intérêt pour l'implication des femmes dans les entreprises familiales a considérablement augmenté au cours des dernières décennies. On parle même de « mégatendance » dans le domaine de la recherche. Il n'est pas surprenant que les études de première génération s'attachent à identifier les obstacles qui empêchent les membres de la famille féminins de prendre du galon et/ou de prendre la relève. Si certains facteurs qui favorisent ou jouent en défaveur de la succession féminine sont similaires à d'autres entreprises, dans les entreprises familiales plus traditionnelles et/ou les sociétés patriarcales, le « critère de primogénicité » ou droit d'aînesse reste un obstacle à la succession des filles. Néanmoins, certains éléments indiquent que les successeurs féminins bénéficient de plus en plus de l'égalité des chances. 

Mais comment les femmes/filles vivent-elles leur rôle une fois qu'elles ont franchi le pas vers le rôle de CEO ? 

 

Relation père-fille 

Le chemin du futur successeur n'est pas sans embûche, encore moins si la fille est l'élue. C'est du moins le constat d'une étude inédite menée par Collette Dumas à la fin des années 1980. La relation père-fille apparaît comme primordiale. Elle a identifié 7 défis qui sont propres à cette relation spécifique et donc moins applicables entre pères et fils. Certains d'entre eux semblent familiers, surtout si l'on vit de près un processus de succession. Prenons le phénomène de la « fille à papa » : parfois un père a tendance à protéger sa fille du dur monde des affaires. Il a alors du mal à la considérer comme un successeur à part entière. De son côté, la fille se débat avec l'ambiguïté des rôles. D'une part, elle doit se présenter dans l'entreprise comme une femme d'affaires confiante, mais d'autre part, elle - en tant que fille de - est toujours perçue comme vulnérable et dépendante. Cela contribue à la difficulté de la fille à développer sa propre identité dans l'entreprise. C'est d'autant plus le cas si elle était initialement « invisible » en tant que successeur potentiel. Développer sa propre identité, pouvoir laisser sa marque, pouvoir suivre une direction de manière autonome et être acceptée par le personnel est un thème récurrent, principalement dans les études les plus récentes. 

Bref, comment les successeurs féminins peuvent-ils réussir et acquérir leur légitimité ? Cette question, parmi d'autres, a suscité une nouvelle vague d'études émaillées d'une vision plus optimiste des femmes au sein de l'entreprise familiale. 

 

En quête de légitimité 

McAdam et al. (2021), par exemple, ont étudié comment la nature de la relation père-fille pendant la période de transfert influence la légitimité de la fille comme successeur. Les auteurs ont identifié 3 caractéristiques essentielles dans cette relation : 

  • le soutien du père dans la préparation, la socialisation et le développement de la fille dans le cadre du rôle de CEO ; 

  • la vision partagée et la compréhension mutuelle du style de leadership souhaité 

  • l'autonomisation de la fille dans son rôle de CEO (c'est-à-dire la disparition de l'implication paternelle dans les opérations commerciales après la transmission - la soi-disant « l'ombre générationnelle». 

En outre, les filles doivent également franchir des caps indépendamment de leurs pères pour surmonter leurs insécurités personnelles et contrer toute évaluation négative des membres du personnel. Elles y parviennent en augmentant leur propre visibilité. 

Peut-on également déceler ces constatations lorsque la mère souhaite passer le flambeau à sa fille ? Les études empiriques sur les relations mère-fille sont encore rares mais livrent déjà des enseignements fascinants. 

 

Relation mère-fille 

Une position intéressante est tout d'abord que la question de la succession entre les femmes (en particulier de la première à la deuxième génération) n'est pas tant liée au sexe qu'au rôle entrepreneurial que la mère remplit. Les « entrepreneures fondatrices » féminines, comme leurs collègues masculins, luttent contre « l'ombre générationnelle » (appelons-la « l'ombre de la mère »). Éviter la succession, le manque de délégation, la difficulté à abandonner le contrôle, la supervision directe des interactions avec les clients et fournisseurs clés et plus généralement le manque de confiance dans l'avenir de la fille en tant qu'entrepreneur font que la génération suivante n’arrive pas à se développer et à se légitimer. 

Cette « ombre de la mère » influence également l'attitude et la perception des salariés hors famille au sein de l'entreprise. Ils comparaient régulièrement le style de leadership ou de prise de décision de la fille à celui de sa mère, au grand désarroi de la fille. Il est frappant que ces préoccupations n'aient été rapportées que dans des études de cas avec un suivi mère-fille. De plus, les problèmes de confiance non résolus pendant l'adolescence peuvent également surgir dans la relation mère-fille pendant la transmission. Cela conduit la mère à vouloir exercer trop de contrôle sur sa fille, tandis que la fille adopte une attitude trop critique envers sa mère. Y a-t-il un côté particulièrement féminin dans la relation ? La réponse vient en partie d'une autre discipline. 

L'étude socio-psychologique de la dynamique familiale nous enseigne que la force du lien mère-fille, malgré les tensions et les complexités émotionnelles inhérentes à cette relation, est unique. Par conséquent, l'hypothèse est faite que la question de la succession entre la mère et la fille implique un processus différent de la transmission à un fils. 

Un élément important de toute succession est le transfert de connaissances et de compétences (implicites) du parent à l'enfant (quoi, comment, pourquoi et qui). La recherche exploratoire se concentre sur la façon dont les mères façonnent ce processus et prouve que le succès est fortement lié à un regroupement de quatre éléments relationnels. En particulier, les résultats soulignent l'importance du réseautage en dehors de la famille immédiate et de l'introduction des filles auprès de ces contacts dès que possible (« connectivité »). Le fait que les femmes soient plus enclines à coopérer est considéré comme un atout à cet égard. En outre, les résultats soulignent l'importance de développer une compréhension et un langage communs - appelez cela « être sur la même longueur d'onde » (« cognition »), être ouvert aux nouvelles idées et expériences (« réflexion ») ainsi que faire preuve d'empathie, gérer les émotions et l'attention portée aux autres («  affection »). La base de ces processus relationnels repose sur des interactions fréquentes et personnelles, une communication ouverte et directe, le respect et la confiance mutuels. Un défi consiste principalement à trouver le juste équilibre entre les moments partagés (« face time ») – nécessaires à la construction de la « cognition » et les moments individuels (« alone time ») – nécessaires à la réflexion. La dynamique familiale et l’impact des femmes, cela reste un monde merveilleux. 

 

Une vision contemporaine du genre 

Une vision alternative du débat sur le genre est la conviction de s'éloigner de l'approche biologique du genre comme sexe (masculin/féminin) (« gender as being »), pour considérer le genre comme une « construction sociale », une identité formée par des relations ( « gender as doing »). Par exemple, Byrne et al (2019) ont montré que les successeurs hommes et femmes CEO d'une entreprise familiale « assument  des identités de genre différentes dans leurs tentatives d'être considérées comme légitimes. Dans leur rôle de CEO, les hommes comme les femmes affichent un comportement masculin (entrepreneurial, autoritaire et paternaliste) et une féminité relationnelle, tandis que les successeurs féminins expriment également une féminité (individualisée et maternelle). 

Une étude similaire de Mussolino et.al. (2019) va plus loin en examinant dans quelles circonstances les femmes CEO adoptent un comportement de « gender as doing » dans les entreprises familiales. Les filles choisies qui suivent les traces de leur père dans des entreprises actives dans des secteurs dits « masculins » (tels que l'industrie, la construction et la technologie) présentent des parcours professionnels différents afin de se positionner selon le style de leadership de leur père, la perception des employés quant au rôle de la fille, et le contexte de la famille et de l'entreprise. L'étude conclut que les normes sociales dominantes concernant le genre influencent la (in)capacité des filles à se manifester en tant que successeurs appropriés. En d'autres termes, plus les filles sont « mesurées par les valeurs masculines », plus elles s'adaptent à la manière d'être et de penser masculine, affirmant ainsi leur crédibilité. Est-ce que cela reste encore  toujours un monde d'hommes ? 

 

Des femmes qui inspirent des femmes 

Compte tenu de l'importance économique et sociale des entreprises familiales, nous ne pouvons qu'applaudir l'attention accrue – du moins dans le milieu universitaire – portée à l'implication des femmes au sein des postes de direction. L'étude des facteurs de succès de la succession a une longue histoire, mais s'inspire principalement du leadership masculin. L'ajout de la dimension féminine a le vent en poupe et apporte des éclairages innovants. Lisez plus sur les 6 traits de caractère féminins présentés dans la littérature académique comme positifs pour la continuité et l'appréciation de l'entreprise familiale. On peut espérer que cela inspirera et convaincra les femmes de reprendre le flambeau. 

En conclusion, nous énumérons un certain nombre de recommandations pour ces filles, qui sont déjà à la tête de l'entreprise familiale, à transmettre aux femmes qui seront un jour désignées comme successeurs : 

 

5 conseils de filles à filles 

1. Il faut acquérir de l'expérience dans une organisation externe pour comprendre différents environnements et cultures d'entreprise. 

2. Soyez assertive, mais pas agressive. Concourez dans un environnement masculin, mais respectez-vous en tant que femme. Faites confiance à votre instinct. 

3. Fixez vos propres objectifs, utilisez vos propres normes. Ils ne sont pas nécessairement les mêmes que ceux de vos parents. 

4. Ne reprenez l'entreprise que si vous ressentez vraiment de la passion. 

5. N'ayez pas peur de vous entourer de personnes plus fortes/plus compétentes que vous. 

 

Abigail Levrau

Prof. dr. Abigail Levrau,

Knowledge & Research director 

Sources consultées 

Byrne, J., Fattoum, S. and Thébaud, S., 2019. A suitable boy? Gendered roles and hierarchies in family business succession. European Management Review, 16(3), pp.579-596. 

Campopiano, G., De Massis, A., Rinaldi, F.R. and Sciascia, S., 2017. Women’s involvement in family firms: Progress and challenges for future research. Journal of Family Business Strategy, 8(4), pp.200-212. 

Dumas, C., 1989. Understanding of father‐daughter and father‐son dyads in family‐owned businesses. Family Business Review, 2(1), pp.31-46. 

Ernst and Young (2015). Women in leadership  

European Women on Boards (2022), Gender diversity index of women on boards and in corporate leadership.  

Ferrari, F., 2019. In the mother’s shadow: exploring power dynamics in family business succession. Gender in Management: An International Journal. 

Higginson, N., 2010. Preparing the next generation for the family business: relational factors and knowledge transfer in mother-to-daughter succession. Journal of Management and Marketing research, 4, p.1. 

KPMG & Step Project, 2020, The Power of Women in Family Business – A generational shift in purpose and influence. Report November 2020.   

Maseda, A., Iturralde, T., Cooper, S. and Aparicio, G., 2022. Mapping women's involvement in family firms: A review based on bibliographic coupling analysis. International Journal of Management Reviews, 24(2), pp.279-305. 

McAdam, M., Brophy, M. and Harrison, R.T., 2021. Anointed or appointed? Father–daughter succession within the family business. International Small Business Journal, 39(6), pp.576-600. 

McKinsey, 2022, Women in the Workplace 

Mussolino, D., Cicellin, M., Iacono, M.P., Consiglio, S. and Martinez, M., 2019. Daughters’ self-positioning in family business succession: A narrative inquiry. Journal of Family Business Strategy, 10(2), pp.72-86. 

PricewaterhouseCoopers (2016). PwC Next Generation Survey 2016: The Female Perspective.  

Vera, C.F. and Dean, M.A., 2005. An examination of the challenges daughters face in family business succession. Family Business Review, 18(4), pp.321-345.