Réforme de gouvernance des intercommunales wallonnes : des garde-fous mais pas de révolutions
Face aux scandales de gouvernance publique, notamment au sein des intercommunales wallonnes, les réformes de gouvernance tant attendues ont été approuvées par le Parlement wallon le 28 mars dernier. Ces réformes, annoncées comme étant révolutionnaires, répondent-elles réellement aux enjeux de gouvernance qui se posent aux intercommunales ? Rien n’est moins sûr…
Quelles sont les principales réformes introduites par le décret ?
Le décret modifiant le Code de la Démocratie Locale et de la Décentralisation comprend incontestablement une série d’avancées positives. Premièrement, une série d’incompatibilités ont été ajoutées pour les fonctions de direction et de président et vice-président des intercommunales. Les plus notables sont sans doute le fait qu’un directeur général devienne « empêché » s’il est ou devient chef de cabinet (adjoint) d’un gouvernement ou encore que le (vice) président d’une intercommunale ne peut être en même temps membre d’un parlement. Au-delà de ces nouvelles incompatibilités, le texte prévoit une limitation du nombre de mandats pour les mandataires communaux. Ils ne pourront désormais détenir plus de trois mandats d’administrateur rémunérés dans une intercommunale ou une « société à participation publique locale significative », concept qui n’est par ailleurs par davantage détaillé dans le décret.
Deuxièmement, le législateur introduit – enfin – la notion d’administrateur indépendant pour les intercommunales. Le nouveau texte donne la possibilité aux intercommunales de faire appel à maximum deux administrateurs indépendants, nommés par l’assemblée générale à la majorité des ¾ des voix et sur présentation du conseil d’administration exprimé à la majorité des ¾ des voix, et répondant aux critères définis à l’Art. 526ter du Code des Sociétés.
Ensuite, alors que le nombre maximal d’administrateurs au sein des intercommunales était auparavant limité à 30, le nouveau texte rabaisse ce nombre à 20 administrateurs. Dans les plus petites intercommunales répondant à des critères détaillés dans le décret, ce nombre tombe même à 4 ou 11 administrateurs.
Enfin, le décret attache une attention prépondérante à la question de la rémunération des administrateurs et de la direction des intercommunales. Il s’attèle à encadrer drastiquement tant les politiques que les niveaux de rémunération. Ainsi, un administrateur d’intercommunale ne peut désormais recevoir qu’un jeton de présence par participation à une réunion du conseil d’administration dont le montant ne peut être supérieur à 125€, à l’exclusion de toute autre forme de rémunération. Il en va de même pour les membres ordinaires du comité d’audit et d’éventuels organes restreints de gestion. Seuls le président et le vice-président (limité à un seul par intercommunale) peuvent percevoir, en lieu et place d’un jeton de présence, une rémunération fixe et des avantages en nature pour l’exercice de leur fonction. Si la formule du jeton de présence est retenue, il ne peut s’élever à plus de 180€ pour le président et 150€ pour le vice-président. Quel que soit le système de rémunération du président, celle-ci ne peut être supérieure à un montant calculé sur base de 3 critères : la population des communes associées, le chiffre d’affaires et le personnel occupé par l’intercommunale. Le plafond maximum s’élève à 19.997€ par an. Le décret introduit également des plafonds globaux étant donné que la somme du jeton de présence du conseiller communal ainsi que des montants perçus dans le cadre de mandats dérivés ne peut désormais plus être supérieur à 1,5 fois le montant de l’indemnité parlementaire perçue par les membres de la Chambre des Représentants. La direction générale de l’intercommunale n’échappe pas aux nouveaux plafonds. Ainsi, la fonction dirigeante locale – dont le décret prévoit explicitement qu’elle est désignée par le conseil d’administration – ne peut être rémunérée plus de 245.000€ par an, hors frais, avantages de toute nature, prime d’assurance responsabilité civile et plans de pension complémentaire.
Parallèlement à la limitation des rémunérations en tant que telles, le nombre de réunions annuelles donnant droit à l’octroi d’un jeton de présence est également limité à 12 pour le conseil d’administration (avec un minimum de 6 réunions par an), le comité de gestion et les organes restreints de gestion qui gèrent un secteur d’activité, 8 pour le bureau exécutif et 3 pour le comité d’audit (ce qui semble être très peu en cas d’événements inattendus pouvant impacter la vie de l’intercommunale).
La transparence sur les rémunérations est accrue. Le « principal organe de gestion » [sans plus de précision dans le décret] se doit d’établir un rapport de rémunération écrit reprenant un relevé individuel et nominatif des jetons, rémunérations ainsi que des avantages en nature perçus. Ce rapport est adopté par le principal organe de gestion et fait l’objet d’une délibération en assemblée générale. Ce rapport est annexé au rapport annuel de gestion établi par les administrateurs.
Ces réformes sont-elles convaincantes ?
Bien que censées révolutionner la gouvernance wallonne et éviter de nouveaux scandales à l’avenir, ces nouvelles règles ne répondent pas à certaines préoccupations fondamentales de GUBERNA. De manière générale, le législateur a mis l’accent sur des règles très strictes et contraignantes, doublées d’un nouvel arsenal de sanctions. Cette réaction témoigne sans doute d’une réelle volonté de limiter des excès à l’avenir mais occulte certains fondamentaux d’une gouvernance de qualité, tels que la flexibilité, la responsabilisation des organes de gouvernance et la professionnalisation de la fonction d’administrateur.
GUBERNA déplore ainsi le fait que le conseil d’administration des intercommunales ressorte affaiblit de cette réforme. Le décret réaffirme la possibilité d’instaurer des organes restreints de gestion tel que le bureau exécutif. Il précise que les organes restreints de gestion disposent d’une compétence décisionnelle propre, même si, en vertu des statuts, cette décision doit être ratifiée par le conseil d’administration. Une telle émanation du conseil d’administration n’est pas un gage de qualité. Depuis des années, GUBERNA prône un renforcement et une professionnalisation du rôle du conseil d’administration qui est l’organe de gouvernance central, endossant la responsabilité ultime des décisions. Les différentes études de GUBERNA ont montré que les organes de gestion restreints avaient tendance à vider de leur substance les conseils d’administration, les reléguant ainsi à de simples chambres d’entérinement. Au-delà de toutes les questions pratiques et légales que cela pose (notamment en termes de responsabilité et de confidentialité des débats), le fait que le décret prévoie par exemple une session publique du conseil d’administration renforce l’idée que celui-ci remplit davantage un rôle de forum d’information que de lieu de décision stratégique et de contrôle sur l’organisation.
Si elle permet d’en limiter des abus, la régulation extrême des montants et politiques de rémunération porte encore un coup à l’autonomie des organes de gouvernance et à la flexibilité qui est parfois bien nécessaire en gouvernance. Les montants de rémunération arrêtés paraissent dérisoires au regard de ce qui est attendu d’un administrateur et des responsabilités qu’il engage. Un mandat d’administrateur ne peut être à cet égard comparé à celui de mandataire politique. Le nouveau cadre de rémunération n’encourage pas l’investissement du mandataire dans sa fonction d’administrateur, ne favorise pas la professionnalisation de celle-ci et risque d’engendrer de grandes difficultés pour trouver des administrateurs indépendants de qualité. GUBERNA craint qu’il n’engendre un fossé entre la gestion publique et la gestion privée, tant il s’éloigne des pratiques de marché. Sans nier le caractère public des intercommunales et les impératifs sociaux qui en découlent, nul ne peut nier que ce sont avant tout des entreprises qui se doivent de délivrer de manière extrêmement performante et professionnelle des services bien souvent essentiels à la population. GUBERNA estime qu’il aurait davantage fallu travailler à augmenter la valeur ajoutée des organes de gouvernance et des administrateurs, en offrant une rémunération conforme à cette valeur ajoutée, plutôt que de limiter la rémunération et le rôle des organes, donnant l’impression de se résigner au fait que les conseils d’administration d’intercommunales ne sont pas en mesure de fournir plus de valeur ajoutée à celles-ci et à leurs actionnaires.
La diminution du nombre d’administrateurs et l’instauration d’administrateurs indépendants est un pas dans la bonne direction et est conforme aux recommandations que GUBERNA prône depuis 2012. Toutefois, le législateur wallon aurait pu aller plus loin dans ses réformes. Pourquoi fixer un nombre maximal de 20 administrateurs quand, dans le même temps, la Flandre fait passer un décret pour les limiter à 15, qui semble être un nombre plus conforme à un fonctionnement optimal d’un conseil d’administration ? De même, pourquoi limiter à deux le nombre d’administrateurs indépendants par conseil, soit à 10% seulement du conseil quand celui-ci compte 20 administrateurs ? Il eut été plus courageux d’imposer la présence d’administrateurs indépendants, et de définir plus précisément ce qui est entendu par « administrateur indépendant » dans le contexte public. GUBERNA réfléchit d’ailleurs en ce moment à cette question avec ses membres-experts issus du secteur public.
Enfin, GUBERNA déplore le fait que très peu d’emphase soit mise sur les profils et compétences des administrateurs. La sacrosainte règle de la représentativité démocratique est toujours le seul et unique critère. Le décret prévoit seulement qu’au moins un membre du comité d’audit dispose d’une expérience pratique et/ou de connaissances techniques en matière de comptabilité et d’audit. Aucune autre règle de compétence ne prévaut pour la sélection des administrateurs, la désignation des membres du bureau exécutif ou de comités spécialisés. Les restrictions prévues par le décret (impossibilité d’être membre à la fois du comité d’audit et du bureau exécutif) semblent être davantage guidées par des soucis de répartition des rémunérations entre les membres, dans la mesure où cette incompatibilité ne vaut pas pour le comité de rémunération, qui lui n’est pas rémunéré.
En conclusion, GUBERNA salue l’attention portée par le législateur à l’importance d’une gouvernance publique de qualité. Toutefois, à l’exception de quelques mesures notables, GUBERNA estime qu’il a manqué l’occasion de revoir profondément un modèle de gouvernance trop souvent défaillant. Le décret semble surtout se borner à mettre des garde-fous visant à empêcher des dérives similaires à celles qui ont fait la Une de l’actualité ces derniers mois. Au travers de son centre pour la gouvernance publique, GUBERNA va s’atteler à poursuivre son travail de recherche afin de démontrer les bienfaits d’une gouvernance de qualité et de sensibiliser aux outils qui permettent de les atteindre.