Comment intégrer le développement durable dans la stratégie et le modèle d'entreprise 

Voici la quatrième partie de la série d'articles pratiques basés sur notre « Étude sur la création de valeur durable dans les sociétés belges cotées en bourse ». Nous y avons étudié la manière dont les sociétés cotées en bourse travaillent et réfléchissent à la « création de valeur durable ». Dans la première partie nous avons discuté de la définition importante, du rôle des administrateurs et de la nécessité même d'une création de valeur durable. Dans la deuxième partie nous avons examiné les principaux résultats de notre recherche. Dans la troisième partie nous avons approfondi la réflexion à long terme ainsi que ce que l'on désigne communément comme l'objectif. Dans cette partie, nous explorons les aspects du comment, du quoi et du pourquoi de la transition cruciale vers une véritable stratégie de durabilité.   

Nous continuons à suivre les six recommandations de la « note explicative sur le concept de création de valeur durable » de la Commission belge de gouvernance d'entreprise. Nous nous concentrons ici sur le troisième point.  

  1. Donner la priorité au long terme 

  1. Définir les objectifs sociaux de manière appropriée 

  1. Intégrer le développement durable dans la stratégie de l'entreprise 

  1. Intégrer le développement durable dans les activités de l'entreprise 

  1. Rapports structurés et contrôlés sur les questions ESG 

  1. Poursuivre l'engagement structuré du Conseil 

Ajustement nécessaire  

La troisième recommandation de la note de la Commission belge de gouvernance d'entreprise indique clairement la direction à suivre et la nécessité d'une transition stratégique vers la durabilité :  

« Le monde est confronté à diverses questions et évolutions qui posent des défis majeurs à notre planète et à notre société. Pour éviter une crise majeure, d'importantes corrections de trajectoire seront nécessaires. Dans ce contexte, les objectifs de développement durable des Nations unies constituent un cadre utile.  

Il est du devoir du conseil d'administration et de la direction de l'entreprise de réfléchir de manière proactive à ces défis. Elle doit ainsi anticiper les nouveaux risques et les nouvelles contraintes qui pèsent sur son modèle d'entreprise et son portefeuille stratégique actuels. En même temps, et c'est tout aussi important, elle doit chercher des occasions d'innover et d'apporter de nouvelles solutions aux défis liés au développement durable. » 

En effet, en fin de compte, le modèle et la stratégie d'entreprise doivent contribuer à relever le défi de la durabilité sociale. L'importance de ce point semble également être largement reconnue dans la pratique : 84 % des entreprises interrogées ont affirmé avoir établi une stratégie de développement durable, tandis que 9 % envisagent de le faire dans un avenir proche.  

 

Transition vers une stratégie d'entreprise durable  

Une stratégie peut contribuer à la transition vers la durabilité de deux manières :  

  • soit en créant de la valeur - en plus des bénéfices pour les actionnaires - pour les autres parties prenantes de l'entreprise,  

  • soit en réduisant l'impact négatif des activités de l'entreprise sur ces parties prenantes.  

Afin d'assurer une intégration efficace du développement durable dans la stratégie globale de l'entreprise, il est fréquent de créer une "stratégie de développement durable" englobant des objectifs précis liés aux critères ESG, notamment environnementaux, sociaux et de gouvernance. Cependant, il est essentiel que cette stratégie ne soit pas dissociée de la stratégie globale de l'entreprise, mais qu'elle soit plutôt intégrée en tant que composant essentiel. 

Définir sa propre stratégie en matière de développement durable et, plus encore, l'intégrer dans la stratégie globale de l'entreprise est un processus de longue haleine. Cette transformation stratégique peut nécessiter des ressources importantes et beaucoup de travail de la part de l'ensemble de l'équipe de direction. 

 

Impact diversifié de la stratégie de développement durable 

Nous nous sommes également interrogés sur l'impact potentiellement significatif de la nouvelle stratégie de développement durable sur le modèle d'entreprise et la stratégie de l'entreprise concernée, se demandant si elle entraînerait des changements fondamentaux ou seulement des ajustements marginaux.  

La réponse n'est pas simple, car plusieurs possibilités peuvent se présenter. La nouvelle stratégie « durable » pourrait, par exemple

  • influencer directement la manière dont une entreprise crée de la valeur. Pour ce faire, il faut diviser la chaîne de valeur en différents « maillons ». Chacun de ces liens nécessite ensuite des actions spécifiques.  

  • avoir un impact sur le portefeuille de produits/services de l'entreprise. Elle devrait alors se retirer de toutes les activités qui ne sont pas compatibles avec la transition vers la durabilité. (Cela pose de véritables dilemmes ; ces activités peuvent être très rentables et il n'y a parfois pas d'alternative facile au produit ou au service en question.)  

  • axer la politique d'investissement sur les investissements durables. Pour les holdings, les banques, les compagnies d'assurance et autres, cela peut avoir une influence sensible sur la sélection des investissements, car ils doivent explicitement examiner leurs investissements en fonction de critères de durabilité.  

  • conduire à l'adaptation des processus de production existants. Car même un produit ou un service nécessaire à la transition n'est pas lui-même nécessairement produit de manière durable. Le plus évident est la réduction des émissions de CO2.  

  • influencer la politique et la culture des ressources humaines de l'organisation. Aujourd'hui, les RH sont de plus en plus considérées comme faisant partie de la stratégie de base et un travail concret est effectué autour des aspects sociaux de la durabilité (les facteurs « S » de l'ESG), tels que la diversité et l'inclusion, la formation, l'autonomisation, la santé et la sécurité, la culture éthique, etc.  

Ce que nous constatons : Une stratégie de développement durable peut modifier profondément le modèle d'entreprise, bien qu'elle ne le transforme pas nécessairement dans sa totalité. D'après nos recherches, l'impact varie également en fonction de la taille, du secteur et de la structure de propriété de l'entreprise. 

 

Matrice de matérialité cruciale  

La définition d'une nouvelle stratégie durable est un processus global comportant plusieurs étapes. Une chose est sûre : tout commence par une analyse de matérialité. Dans ce cadre, vous recueillez les avis des différentes parties prenantes de l'entreprise sur les thèmes ESG ayant le plus d'impact sur l'entreprise et ses parties prenantes. Dans certains cas, certaines catégories de parties prenantes doivent encore être convaincues de l'importance des projets de durabilité.  

Figuur 8

Cet exercice s'appuie généralement sur un ou plusieurs cadres de référence (les ODD des Nations Unies sont les plus courants, en plus des Principes pour l'investissement responsable des Nations Unies, du Pacte mondial des Nations Unies, de la Global Reporting Initiative (GRI), de la TCFD, de la SASB, etc.).  

Les contributions des différentes parties prenantes sont recueillies par le biais d'entretiens, d'enquêtes ou de tables rondes, entre autres. 90 % des entreprises de notre échantillon consultent leurs employés. 78 % font de même avec leurs actionnaires et 85 % consultent également d'autres parties prenantes telles que les clients et les fournisseurs.  

Cet exercice stratégique essentiel aboutit ensuite à une matrice de matérialité, qui classe les différents thèmes de durabilité en fonction de leur impact sur l'entreprise et de leur importance pour les parties prenantes et l'environnement.  

Des consultants externes peuvent recueillir les avis de ces différentes parties prenantes et aider à définir des objectifs spécifiques ou des indicateurs de performance stratégique (IPC). Ils peuvent également participer à l'édition du rapport de durabilité par la suite. 

L'évaluation de la matérialité sert de référence et de point de départ pour la définition de la stratégie. Dans la plupart des cas, le conseil d'administration n'est pas directement impliqué dans l'élaboration de la stratégie, mais il donne l'impulsion initiale et le mandat à l'équipe de direction. À la fin du processus stratégique, il appartient au conseil d'approuver ou de remettre en question la stratégie proposée.  

Mais la matrice de matérialité et la stratégie de développement durable devront de toute façon être mises à jour régulièrement en fonction de l'évolution du contexte commercial et social. 

"Le développement durable est d'abord une activité secondaire, mais il doit évoluer vers un élément central de toutes les activités de l'entreprise."

Test

Quelles sont les questions stratégiques les plus pertinentes ?   

Nous avons demandé aux participants à l'enquête d'évaluer les thèmes de durabilité en fonction de leur importance pour la stratégie de leur entreprise. Cette figure montre les notes moyennes des thèmes ESG par ordre décroissant d'importance. Le changement climatique/CO2 est de loin le thème de durabilité le plus important, suivi par la « santé et la sécurité », la « lutte contre la corruption » et « l’utilisation de l'énergie et les énergies renouvelables ». 

Notre analyse plus approfondie de la relation entre les scores de durabilité et les caractéristiques de l'entreprise aboutit à ces résultats :  

  • Taille : Il semble que les grandes entreprises (BEL 20) accordent plus d'attention aux questions sociales et de gouvernance que les petites entreprises (BEL Mid et BEL Small). En revanche, les résultats indiquent que les petites entreprises accordent plus d'importance aux questions environnementales.  

  • Secteur : les entreprises industrielles considèrent les questions environnementales comme plus importantes, tandis que les entreprises de services considèrent les questions sociales comme plus importantes que leurs homologues. Nous ne constatons pas de différences significatives pour les thèmes de gouvernance.  

  • Structure de l'actionnariat : dans l'ensemble, nous constatons que les entreprises dont l'actionnariat est concentré accordent plus d'attention à toutes les questions ESG (environnementales, sociales et de gouvernance) que les entreprises dont l'actionnariat est dispersé. Nos résultats indiquent également que les entreprises familiales attachent plus d'importance aux questions environnementales que les entreprises non familiales. 

Conclusion 

Ceci conclut notre description de l'intégration nécessaire de la durabilité dans la stratégie des entreprises.  

Un changement de cap est nécessaire : chaque entreprise doit passer rapidement d'une situation où le développement durable est considéré comme un pilier distinct de la stratégie commerciale à un état d'intégration totale du développement durable dans l'ensemble de sa stratégie commerciale. Dans ce nouvel état, tous les objectifs et les indicateurs clés de performance, et pas seulement les indicateurs financiers, doivent contribuer au succès à long terme de toutes les parties prenantes. 

Nous osons donc conclure que nos entreprises cotées en bourse sont réellement engagées dans cet exercice, certes complexe. Dans le cinquième épisode, nous examinons de plus près l'intégration concrète de la durabilité dans les activités opérationnelles de l'entreprise.