Cette publication fait suite à la réunion de l’ « OECD Global Network on Corporate Governance of State-Owned Enterprises » qui s’est tenue l’an dernier à Dubaï, et à laquelle Renaud Van Goethem a représenté GUBERNA en tant que membre d’un panel. GUBERNA fut en effet invité par l’OCDE pour témoigner de son expertise en termes de rémunération, évaluation, incitants et performance des conseils d’administration d’organisations publiques. Le rapport de l’OCDE est basé sur un questionnaire transmis aux pays participants au séminaire, ainsi que sur les discussions entre pairs et les réunions préalables organisées par l’OCDE. Bien que ce rapport se focalise surtout sur des pays asiatiques, il contient néanmoins une série de recommandations pertinentes, ayant trait notamment à la sélection et la nomination des administrateurs, ainsi qu’aux pratiques bénéfiques à l’efficience du conseil d’administration, telles que l’évaluation, la rémunération, la séance d’introduction de nouveaux administrateurs ou encore la formation des administrateurs. L’analyse se limite aux administrateurs non-exécutifs dans les entreprises publiques non cotées, à orientation commerciale.

Une fonction actionnariale bien identifiée

Une des bonnes pratiques mises en exergue par l’OCDE est le rôle d’actionnaire actif attendu des actionnaires publics. L’organisation internationale souligne qu’il est important que le gouvernement ou les entité actionnariales fixent des objectifs et les communiquent aux conseils d’administration des entreprises publiques. Toutefois, l’OCDE constate qu’il existe dans de nombreux pays une confusion entre les rôles respectifs du CA et de l’entité actionnariale. Ceci est particulièrement vrai dans les pays ayant une fonction actionnariale étatique davantage décentralisée (c’est-à-dire où les ministres de tutelle exercent également la fonction actionnariale). L’entité actionnariale (ex : le ministre de tutelle) a alors plus souvent tendance à jouer un rôle direct dans le management stratégique ainsi que dans la nomination du CEO et dans l’élaboration des politiques de rémunération. L’OCDE rappelle que ces responsabilités devraient être exercées par le conseil d’administration. Le rapport de l’OCDE conclut qu’un cadre légal garantissant l’indépendance et l’autonomie des membres du conseil des entreprises publiques fait souvent défaut. Dans de nombreux pays, les conseils d’administration ne sont pas suffisamment outillés pour exercer l’ensemble de leurs rôles de manière indépendante. Ils sont régulièrement contournés par des canaux de communication et d’instructions informels.

Une entité actionnariale centralisée comme gage d’une sélection professionnelle des administrateurs ?

Pour ce qui est de la nomination des administrateurs au sein des entreprises publiques, il ressort de l’étude de l’OCDE que les pays possédant une entité actionnariale centralisée (ex : une agence actionnariale telle que l’Agence des Participations de l’Etat en France) lui confient bien souvent la responsabilité directe de nommer les membres des conseils. A contrario, dans les pays ayant une fonction actionnariale décentralisée, les ministres sectoriels sont également impliqués dans le processus. L’OCDE met par ailleurs en exergue que tous les pays inclus dans son étude (à l’exception d’un) ont mis en place des critères minimaux de sélection. Il s’agit généralement de critères relatifs à la formation, à l’expérience et à l’expertise du candidat. Toutefois, bon nombre de pays reconnaissent un écart entre la théorie et la pratique, en raison notamment du laxisme de la fonction actionnariale. En règle générale, l’OCDE remarque que les processus de nomination et de sélection des membres des conseils d’administration sont influencés non seulement par le degré de centralisation et de professionnalisation de la fonction actionnariale, mais aussi par la taille des parts détenues par l’actionnaire public et par la répartition entre priorités commerciales et non-commerciales.

L’OCDE constate en outre que la centralisation de la fonction actionnariale peut aider à renforcer et mobiliser des compétences pertinentes étant donné qu’elle va favoriser la création d’un pool d’experts sur des matières cruciales telles que la composition du conseil et la nomination de ses membres. A cet égard, l’OCDE note également que plusieurs pays ont mis en place des systèmes de réserves de candidats-administrateurs dans lesquelles puiser lorsque des mandats deviennent vacants.

Toujours dans l’optique de la sélection des administrateurs, l’OCDE observe que la rédaction d’un profil de fonction est une étape importante de la sélection dans de nombreux pays. L’organisation internationale rappelle également qu’il est essentiel de garantir la transparence des règles et principes qui régissent la sélection. Une des conclusions du rapport est qu’un manque de transparence sur le processus de sélection et de nomination entrave la performance des conseils.

Des administrateurs à former, à rémunérer et à évaluer

L’OCDE relève que dans la plupart des pays étudiés, la rémunération des administrateurs au sein des entreprises publiques est bien inférieure aux pratiques de marché. Ceci s’explique par la volonté des gouvernements de limiter les controverses sur des rémunérations excessives dans le secteur public. Plusieurs pays indiquent cependant que ceci impacte négativement la qualité des administrateurs se retrouvant au conseil des entreprises publiques.

L’évaluation du conseil d’administration est également un aspect étudié par l’OCDE dans son étude récente. Elle constate que les entreprises publiques plus proches du gouvernement tendent à opter pour un système d’évaluation par la fonction actionnariale, sur base des objectifs d’entreprises établis. Les entreprises publiques ayant un caractère plus commercial ont davantage tendance à mener des auto-évaluations (externes), combinant des aspects quantitatifs et qualitatifs. Dans certains pays, les conclusions de l’exercice d’évaluation influencent le processus de sélection de nouveaux administrateurs, en identifiant par exemple les compétences et profils manquants.

L’introduction et la formation des administrateurs sont primordiales dans l’optique d’une gouvernance de qualité. L’OCDE constate que dans la plupart des pays analysés des séances d’introduction sont soit organisées par les entités actionnariales, soit par les entreprises publiques elles-mêmes. La grande majorité des entités actionnariales des pays analysés travaillent avec des associations professionnelles (telles que les instituts nationaux d’administrateurs) pour fournir des formations sur mesure aux administrateurs des entreprises publiques.

La Belgique, un bon élève ?

Ces différentes observations et recommandations prennent tout leur sens dans la réalité belge. Elles sont conformes aux recommandations que GUBERNA a émises dans son Mémorandum sur l’Etat actionnaire en 2014, aux dispositions du modèle de charte GUBERNA pour l’administrateur d’entreprise publique, ou encore aux différentes notes que GUBERNA a rédigées ces dernières années, notamment sur la gouvernance des intercommunales. GUBERNA constate que les questions de gouvernance publique ont occupé une place centrale ces derniers temps, débouchant sur une série de réformes et d’avancées notables. La situation belge n’est toutefois pas encore conforme en tous points aux meilleures pratiques préconisées, mais la volonté de changement semble bien réelle. Le Gouvernement fédéral a ainsi initié une centralisation de la fonction actionnariale au sein de la Société Fédérale de Participations et d’Investissement (SFPI). Certes, on est encore loin d’un modèle centralisé tel que préconisé par l’OCDE, tant les ministres sectoriels sont nombreux à garder des compétences actionnariales – en ce compris dans des entreprises publiques à vocation plus commerciale – mais la dynamique instaurée est à souligner. Des mesures ont également été prises pour rendre la responsabilité de la nomination du CEO au conseil d’administration (chez Proximus et bpost notamment). Ceci dit, l’actionnaire public reste dans beaucoup d’autres organisations publiques l’acteur central de cette nomination. En Flandre, les organisations publiques régionales sont maintenant tenues de compter des administrateurs indépendants au sein de leur conseil d’administration. C’est une évolution de gouvernance importante, qui n’aurait sans doute pas été imaginable il y a de ça quelques années. 

Cependant, la sélection des administrateurs publics en Belgique est sans doute un des points les plus perfectibles. Un profil de fonction n’est pas systématiquement rédigé, il n’existe pas de pool de candidats-administrateurs au niveau de l’entité actionnariale, des critères de sélection minimaux ne sont pas prédéfinis et la procédure de sélection est bien souvent ad hoc et opaque. GUBERNA a toutefois observé ces derniers temps d’excellents exemples de sélection professionnelle des administrateurs dans les organisations publiques, mais ils restent l’œuvre de quelques entreprises et non le reflet d’une pratique généralisée et institutionnalisée. De même, bien que de plus en plus d’organisations publiques soumettent leur conseil d’administration à évaluation (en se tournant notamment vers GUBERNA), cette bonne pratique reste encore trop marginale et n’est malheureusement pas structurellement encouragée par les actionnaires publics. Il en va de même pour l’introduction et la formation des administrateurs. On pourrait s’attendre à ce que les entités actionnariales forment les administrateurs de manière structurelles mais il n’en est encore rien. Les pouvoirs publics se contentent généralement – au travers de textes de loi – d’encourager les entreprises publiques à former leurs administrateurs.

Au-delà de la dynamique de réformes en marche, GUBERNA a surtout constaté une volonté croissante des entreprises publiques elles-mêmes de perfectionner leurs modes de gouvernance. GUBERNA n’a en effet jamais été autant sollicité par des organisations actives dans le secteur public pour les supporter dans l’analyse de leurs outils et structures de gouvernance, dans l’évaluation de leur conseil d’administration, dans la formation de leurs administrateurs ou encore dans la sélection de ceux-ci. La gouvernance n’est plus un luxe mais bien une nécessité et les acteurs de terrain l’ont bien compris.  

Cette nouvelle publication de l’OCDE est l’occasion de faire le bilan sur certaines pratiques de gouvernance publique en Belgique. Force est de constater que, en raison peut-être des scandales de gouvernance à répétition, la gouvernance publique occupe aujourd’hui une place de choix dans les préoccupations politiques. Des mesures ont été prises pour perfectionner les pratiques de gouvernance dans le secteur public et le rythme des réformes semble s’être accéléré. Toutes n’ont pas été aussi loin qu’elles auraient pu, et il reste donc certainement des points d’attention cruciaux pour optimiser la gouvernance publique en Belgique. GUBERNA ne manquera pas de les rappeler à l’occasion des échéances électorales à venir