Après les élections fédérales, régionales, provinciales et locales, non seulement nous avons/aurons de nouveaux gouvernements. De nombreux conseils d'administration seront également reconstitués. En effet, les différents gouvernements sont actionnaires de nombreuses entreprises dites publiques. Des entreprises publiques autonomes fédérales (cotées en bourse) aux intercommunales. Pour le gouvernement actionnaire, le droit de nommer les membres du conseil d'administration est l'un des mécanismes classiques de contrôle structurel.

Si le cadre juridique des entreprises publiques varie considérablement, il se résume souvent à un accord de principe au sein du gouvernement pour répartir soigneusement les sièges au sein des conseils d'administration des entreprises publiques en fonction de la force du parti. Si les sièges des conseils d'administration ne sont pas toujours attribués à des hommes politiques, l'impression demeure que les administrateurs désignés par les actionnaires gouvernementaux agissent alors au nom de ceux à qui ils doivent leur siège. Que ce soit ou non au détriment des intérêts de l'entreprise publique. L'influence sur les administrateurs désignés par des gouvernements peut également être utilisée pour leur donner des instructions ou obtenir des informations.  

Cependant, la législation et les principes de bonne gouvernance contrebalancent l'emprise de l'État actionnaire sur « ses » administrateurs. C'est ce qu'explique une étude actuellement développée par GUBERNA et son partenaire de recherche Eubelius.  

Dans ce court article, nous avons le plaisir de partager avec vous les premiers éléments de réflexion.  

Tout d'abord, les administrateurs sont censés agir dans l'intérêt de la société, et non dans leur propre intérêt ou ceux à qui ils doivent leur siège. Le conseil d'administration est autonome et doit s'acquitter de ses tâches en toute indépendance. En particulier, les évolutions de ces dernières années en ce qui concerne la réflexion sur l'« objet » de l'entreprise ont apporté des nuances importantes dans la définition de l'intérêt de l'entreprise, ce qui signifie que l'administrateur désigné par des gouvernements doit également être conscient des intérêts des autres parties prenantes qui contribuent à colorer l'intérêt de l'entreprise.. 

Un processus de sélection et de nomination professionnel est une condition nécessaire pour éviter de nommer n'importe qui. Il permet aux personnes autour de la table d'avoir l'état d'esprit et les compétences nécessaires. Les nouvelles lignes directrices de l'OCDE sur la gouvernance des entreprises publiques (2024) stipulent que “a central prerequisite in empowering SOE boards is to compose and structure them so that they can effectively exercise objective and independent judgement, be in a position to monitor senior management and take strategic decisions.” Une fois les administrateurs nommés, une évaluation régulière de leurs performances est également considérée comme une bonne pratique, en particulier lorsque leur renouvellement est envisagé. Cette évaluation peut ou non s'inscrire dans le cadre d'une évaluation du conseil d'administration dans son ensemble.  

Pour éviter que l'influence du gouvernement actionnaire sur la composition du conseil d'administration et la prise de décision ne devienne problématique, les administrateurs indépendants constituent également un mécanisme très important qui renforce l'indépendance du conseil d'administration dans une entreprise publique. Les administrateurs indépendants constituent donc un contrepoids et une voix critique, tout en veillant à ce que les décisions soient prises dans le meilleur intérêt de la société. La présence d'administrateurs indépendants est loin d'être établie dans toutes les entreprises publiques. 

La formation des administrateurs est une recommandation de bonne gouvernance très répandue, en particulier dans le secteur public. En particulier, les lignes directrices de l'OCDE sur la gouvernance des entreprises publiques (2024) recommandent que  “Board members may need to acquire additional skills upon appointment through training or other means. Thereafter, such measures may also support board members to remain abreast of relevant new laws, regulation and changing commercial and other risks.” Cette formation peut être organisée en interne, ou la participation des membres du conseil d'administration à des formations externes peut être encouragée. 

La pratique montre que les structures sont une condition nécessaire mais non une garantie pour une gouvernance professionnelle et un fonctionnement optimal du conseil d'administration. La priorité est la volonté de toutes les personnes de développer la gouvernance de manière professionnelle. Un comportement professionnel en matière de gouvernance est une conditio sine qua non. Des règles déontologiques écrites, des codes éthiques, etc. sont des instruments qui encouragent les administrateurs à adopter la bonne attitude.  

En ce qui concerne ce qui précède, il convient de souligner que l’administratuer fait partie d'un organe collégial. Les décisions sont le résultat d'une consultation entre tous les administrateurs et doivent être prises par consensus. Une fois la décision prise, tous les administrateurs doivent la soutenir et sont tous responsables de cette décision. Les principes de bonne gouvernance préconisent la collégialité au sein du conseil d'administration, car un processus décisionnel collégial est susceptible de conduire à des décisions plus équilibrées dans l'intérêt de l'entreprise. 

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L'utilisation appropriée de comités spécialisés peut également être bénéfique pour l'indépendance globale du conseil d'administration. Dans un contexte public, les lignes directrices de l'OCDE sur la gouvernance des entreprises publiques (2024) recommandent ce qui suit: “SOE boards should consider setting up specialised committees, composed of independent and qualified members, to support the full board in performing its functions, …”. Le CSA exige également que les comités d'audit comptent au moins un administrateur indépendant, tandis que le comité de rémunération doit être composé d'une majorité de membres indépendants. Les comités spécialisés veillent à ce que les questions sensibles soient traitées de manière impartiale et non par des parties intéressées. Cela aide le conseil d'administration à prendre des décisions impartiales.  

Un avant-dernier élément concerne la mise en place d'une gouvernance actionnariale qui vise à atteindre un équilibre entre l'autonomie et le contrôle. Les lignes directrices de l'OCDE sur la gouvernance des entreprises publiques (2024) soulignent quethe state should act as an informed and active owner, ensuring that the governance of SOEs is carried out in a transparent and accountable manner, with a high degree of professionalism and effectiveness.” D'autre part, les mêmes lignes directrices soulignent que “the state should let SOE boards exercise their responsibilities and should respect their independence.” Nous nous référons ici aux travaux de GUBERNA sur l'organisation de l'actionnariat public. Et en particulier à son mémorandum “9 priorités pour la gouvernance d’entreprises publiques performantes” (2024). Au-delà de la gouvernance actionnariale, il convient également de s'interroger sur le modèle de gouvernance approprié pour les entreprises publiques elles-mêmes. À cet égard, le modèle de gouvernance duale mérite d'être pris en considération afin d'accroître l'autonomie globale des entreprises publiques et de leurs conseils d'administration par rapport à l'influence de la politique. 

Enfin, en raison de l'influence de l'actionnaire public sur les administrateurs désignés par des gouvernements, des questions se posent quant à l'échange d'informations. Le point de départ est que l'administrateur agit dans l'intérêt de l'entreprise et qu'il est tenu à un devoir de discrétion. Le conseil d'administration décide quelles informations peuvent être partagées avec des actionnaires bien définis, la pierre de touche étant l'intérêt de l'entreprise. Néanmoins, dans la pratique, il existe souvent un consentement implicite pour permettre à l'administrateur d'exercer correctement son mandat et à l'actionnaire de diriger son représentant. Il est donc admis que l'administrateur partage des informations avec l'actionnaire. Pour aligner les intérêts dans le cadre du processus collégial de prise de décision, il est nécessaire de connaître le point de vue de ces parties prenantes. Agir dans l'intérêt de l'entreprise ne permet pas de s'abstraire des intérêts de l'actionnaire ou des actionnaires. 

Dans les entreprises publiques en particulier, un délicat exercice d'équilibre serait nécessaire entre le devoir de discrétion des administrateurs, d'une part, et l'obligation de rendre compte aux différentes parties prenantes (cf. l'actionnaire, le gouvernement, le parlement, les partis politiques, la société, etc.). Les contours dans lesquels s'inscrit l'autorisation implicite d'échanger des informations entre l'administrateur public et l'actionnaire public sont un flou artistique. Il n'existe pas de définitions, de règles, de procédures, etc. sans ambiguïté.  C'est pourquoi, dans la suite de l'étude, nous nous pencherons plus particulièrement sur la tension entre le devoir de discrétion et l'obligation de rendre compte. En vue de créer un cadre approprié qui aide les administrateurs publics à faire les bons compromis.